Dépaysements

On se sent parfois dépaysé, sans pourtant parvenir à cerner ce qui nous désoriente dans ce qui se tient face à nous, irréductible à nos expériences précédentes. De nouvelles émotions prennent forme, encore chancelantes, fragmentaires, équivoques, qui pourront lentement gagner en consistance, se clarifier. Cette quête du dépaysement a été longtemps une expérience esthétique rare, une recherche méditative ou initiatique.

Mais depuis douze mois, nous vivons dépaysés tout en restant sur place. Comme si le sol sous nos pieds avait perdu de sa consistance habituelle. Notre cadre de vie semble désaccordé à ses soubassements, à nos usages les plus courants et aux complicités accumulées au fil du temps.

Devant cette alerte, il nous a semblé utile d’inviter à la rescousse des visions iconoclastes et ludique lors du cycle de performances artistiques et intellectuelles Ça Remue ! fin octobre dernier.

Nos complices sont siffleurs d’oiseaux, jardiniers, architectes, anthropologues, bergères et bergers, performeuses, philosophes, physiciens, écologues, capteuses d’échos, d’aubes ou de nuages, poètes et paysagistes…. Ils ébranlent nos perceptions habituelles des SOLS, des CORPS, de l’ATMOSPHÈRE pour faire émerger des usages plus appropriés du monde.

Local-contemporain publie cette somme d’intuitions rares sous le titre dépaysements. Nous sommes heureux de partager en avant-première avec vous ces quelques extraits :

EXTRAIT DU SOMMAIRE :

Alexandra Engelfriet : CORPS À CORPS

Au-dessous de la couche dominante de la pensée s’ouvre, couche après couche, un continent qui ne peut être exprimé en mots, mais seulement expérimenté. En pénétrant ces couches profondes se produit un phénomène merveilleux qui, au fond de moi, m’ouvre au monde, à une réalité plus entière. L’argile est cette réalité primordiale, antérieure au langage.

Johnny Rasse : DEVENIR INVISIBLE

Entrer en conversation avec un oiseau nécessite de se rendre totalement disponible et façonnable puisque mon corps, ma voix et mes résonateurs devront se redessiner pour accueillir ce chant. Mais cela procure un sentiment profond de plénitude et d’unité avec ce qui m’entoure. Je crois avoir cherché durant toute ma vie, et surtout durant mon enfance, l’ivresse de ce moment.

Catherine Grout : RESPIRER AVEC LA TERRE ET LE CIEL

Si nous nous caractérisons en tant qu’homo sapiens par notre verticalisation, nous ne tenons pas debout de manière tranquille. Nous sommes en relation avec tout ce qui nous entoure dans cette liaison gravitaire et anti-gravitaire terre-ciel avec un échange de forces et d’énergies. Notre relation à l’horizon n’est pas non plus tranquille. Ni aux nuages d’ailleurs.

Maryvonne Arnaud : LE PAYSAGE PREMIER

Pourra-t-on un jour revivre de paysages ? Pourra-t-on survivre de paysages ? Est-ce que les gestes d’accueil, les voix hospitalières, les odeurs, la douceur du soleil réveilleront le paysage ? Est-ce que les regards des enfants nés ici ou là, sans sol, nés entre, nés nulle part raviveront le goût du paysage ? Ces enfants qui ne savent pas le paysement, deviendront-ils des passeurs de paysages ?

Gilles Clément : UNE INVERSION DES PAYSAGES

Reprocher à une plante ou à un animal d’être là alors qu’il vient d’ailleurs, c’est ne rien comprendre à la réalité comportementale du vivant. Nous sommes soumis à un modèle culturel cloisonné, avec une vision fixiste totalement bloquée, où il n’y a pas d’issue. Cela traduit une incompréhension des mécanismes ordinaires de la vie et de l’évolution.

Daniel Bougnoux : DÉCOÏNCIDER

Nos vies se jouent à coups de dés : dé-paysement, dé-centrement, dé-localisation, départs… Nous sommes des êtres de désir et ce désir nous déchire, nous disloque, nous exile de tout paysage ou pays.

Bruno Caraguel : LA REMUE

Nous ne referons pas les villes, mais nous pouvons les rendre perméables aux vivants. C’est le choix d’un émerveillement qui n’est ni nostalgique ni passéiste, mais prospectif et innovant.

Pierre Janin / Thomas Mouillon :OBSERVER LES SOLS SOUS NOS PIEDS

Ancrage et nomadisme, rural et urbain, local et territorial, intellectuels et manuels, nous nous inscrivons dans le temps agricole des estives, le temps de la transhumance qui reste un formidable modèle..

Anaïs Tondeur : UNE TRANSPARENCE TROMPEUSE

Le Parlement des nuages transforme la salle d’exposition en prétoire. Un prétoire silencieux, comme en attente de verdict, où ce sont les nuages qui semblent devenus les témoins à charge, où ces entités transparentes sont reconnues pour leur place au cœur de l’équilibre du monde, garant du maintien de la respiration des corps.

Henry Torgue: LA GRANDE ÉCOUTE DU MONDE

Le bain sonore qui immerge nos vies ne se réduit pas à un habillage acoustique plaqué sur le paysage visuel. Dès le ventre de notre mère, l’ouïe est l’un de nos sens actifs pour appréhender le monde.

Jean-Christophe Bailly : BREF RETOUR SUR UN TITRE

Aussitôt que nous sortons du cercle de nos déplacements quotidiens, nous nous disposons à être dépaysés, projetés dans un autre espace et d’autres espacements, dans la position de l’apprenti qu’en fait nous ne devrions jamais abandonner.

Marc Higgins : LES SOUVENIRS DE VOYAGE DE DOUGLAS WHITE

Les Palmiers noirs de Douglas White sont au croisement de deux logiques jumelles d’exploitation intensive et aveuglée du monde. Ils nous invitent à nous allonger à l’ombre de la mondialisation touristique et de la domination de nos imaginaires. Ils ne contiennent aucun espoir.

Marie Chéné : TOUT AJOUT JOUE

L’écho nous renvoie, totalement ou en partie, ce qu’on lui a envoyé, et c’est comme s’il nous le redonnait tout neuf, comme s’il nous le faisait véritablement entendre. On lui propose un petit germe de langage et, d’un coup de revers, il vous fait la phrase complète.

Anne-Laure Amilhat-Szary : MOURIR DE PAYSAGE

Il n’est plus possible de contempler des lumières côtières sans penser aux drames migratoires qui traversent ces mêmes paysages.

Marie-Pascale Dubé : CETTE IMMENSITÉ RESSENTIE…

Plus je chante, plus j’ai le sentiment de revenir à quelque chose de déjà là et qui me surprend, qui ouvre et réveille des émotions déjà présentes en moi. Une pulsion de joie et une souffrance. C’est de l’ordre de la guérison. Je ne suis ni chamane ni guérisseuse, mais je sens qu’en moi, le chant me guérit.

Lora Juodkaite, Rachid Ouramdane : À CÔTÉ DU RÉEL

Pour moi, la giration reste une pratique quotidienne très simple. Ma conscience s’abandonne, je m’incline, et j’en suis reconnaissant. C’est peut-être pour cela que ce mouvement demeure en moi.

Jean-Pierre Brazs : LE MONDE EST D’UN USAGE DÉLICAT

Rien ne pouvant vraiment exister sans être dit, les mots du paysage ont une place à prendre, y compris dans le paysage lui-même.

Hervé Frumy : UNE NUIT SUR L’INACCESSIBLE

Un bivouac sur le mont Aiguille, vaincu le 26 juin 1492 par volonté royale. Accompagné de plusieurs corps de métier, Antoine De Ville y restera une semaine, le temps de dire une messe et de poser trois croix.

Ça Remue ! est une initiative de LABORATOIRE réalisée avec les soutiens de l’Idex Univ. Grenoble Alpes, du Département de l’Isère dans le cadre de paysage>paysages et de la Fondation Carasso sous l’égide de la Fondation de France.

Usages du monde

> Usages du monde

> musée Dauphinois

> les jeudi 15, vendredi 16 et samedi 17 octobre 2020

Entrée gratuite dans la limite des places disponibles

Réservation indispensable

Télécharger le programme

 

La quatrième saison de paysage>paysages aborde le paysage par le dépaysement. On se sent parfois dépaysé devant un paysage, sans pourtant parvenir à cerner ce qui nous déconcerte, nous désoriente ou nous égare dans ce qui se tient face à nous, irréductible à nos expériences antérieures. De nouvelles émotions prennent formes, encore chancelantes, fragmentaires, équivoques, qui pourront lentement gagner en consistance, se clarifier. Cette quête du dépaysement a été longtemps une expérience esthétique rare, une recherche d’harmonie méditative ou initiatique. Certaines figures vagabondes comme Victor Segalen ou Nicolas Bouvier furent véritablement poreuses, traversées par le monde et ont rédigé des carnets éblouissants sur ses usages possibles. Mais dans la plupart des récits de voyage, l’exotisme a évité l’expérience troublante de l’altérité. Le timbre-poste, la carte postale, la page de veille des écrans d’ordinateur ou le dépliant d’agence de voyage sont en quelque sorte les icones insouciantes et illusoires de cette banalisation du dépaysement. Les paysages lointains se sont imposés dans nos imaginaires comme des décors hors sol, débarrassés des lignes de forces dérangeantes qui les innervaient en profondeur.

Cette extraction du sol domine désormais nos vies, y compris dans la perception de notre voisinage proche. Notre cadre familier apparait aujourd’hui sans cesse « dépaysé », vacant, noyé dans une uniformisation planétaire. La déterritorialisation est devenue l’expérience dominante du monde contemporain. C’est une forme amplifiée, mais comme inversée, du dépaysement. Elle désaccorde le lieu à ses soubassements, aux usages et aux complicités accumulés au fil du temps, pour ne laisser subsister qu’une dépouille démembrée de paysage. Les lieux de l’industrie touristique, de l’industrie agricole, des hubs de transport et des plateformes offshore occupent les pays comme une armée étrangère, dans l’amnésie, l’ignorance, le mépris des appartenances. Ce sont des lieux clonés sur un modèle dont la plantation coloniale fut à la fois le précurseur et le prototype. Des lieux qui s’épanouissent aujourd’hui uniformément et qui assèchent pourtant les potentialités du monde et les usages dissidents…

Nous vivons dans l’illusion d’une forme paysagère stable, multipliable à l’identique, alors même que la métamorphose rapide de nos écosystèmes nous rappelle chaque jour la nécessité d’une amplification de nos capacités de perception sensibles. Le dépaysement pourrait être fécond si nous apprenions à régler notre attention sur de minuscules portions de pays. Un réduit de paysage qui peut se révèler un condensé d’une densité insoupçonnée, et dont l’observation attentive permet de déployer des virtualités infinies.

Philippe Mouillon, LABORATOIRE

PROGRAMME :

Pour cette saison 4, Ça Remue ! invente des connivences nouvelles, iconoclastes et ludiques, entre porteurs d’intuitions scientifiques, artistiques et vernaculaires pour questionner nos usages du monde et les réinventer.

  • Nos nécessaires complices sont siffleurs d’oiseaux, anthropologues, bergères et bergers, performeuses, philosophes, physiciens, écologues, chasseuses d’échos, de nuages, architectes ou paysagistes…
  • Trois jours durant, ils vont concentrer leur énergie pour nous aider à ne plus surplomber le monde mais à l’accueillir tel qu’il palpite,
  • Le site historique du musée Dauphinois est transformé en un intense millefeuille d’expérimentations autour de ses composantes invisibles, négligées ou silencieuses, pour faire émerger des usages plus appropriés du monde.
  • En intercalant performances en extérieur, débats et conversations publiques, ces journées multiplient les formes d’intelligences collectives, de partage et de transversalités des savoirs afin de gagner en lucidité.

USAGES DU MONDE 

TABLE RONDE PUBLIQUE 01 – MÉTAMORPHOSES : 

jeudi 15 / 10H > 13H / Chapelle / musée Dauphinois (Entrée gratuite dans la limite des places disponibles. Réservation indispensable ci-dessous)

(Introduction vocale de Marie-Pascale Dubé à 10H)

Autour de Nastassjia Martin, Marie-Pascale Dubé, Jean Bouscault et Johnny Rasse, Marie Chéné, Alexandra Engelfriet. « De plus en plus perméable, j’ai l’impression de prendre l’eau » résume Nastassja…. Ils sont artistes ou anthropologue, mais ils ont en commun de se tenir depuis l’enfance au bord de plusieurs mondes, les associant avec virtuosité par leurs capacités d’écoute, d’accueil, de traduction ou d’interprétation. Ils nous révèlent des voix enchevêtrées où l’humain et le non-humain dialoguent, des voix incertaines, fragiles, floues, déconcertantes, des résurgences obstinées qui nous offrent à percevoir comme une texture des premiers matins du monde ou à imaginer avec confiance les métamorphoses à venir du vivant.

TABLE RONDE PUBLIQUE 02 – ANIMALITÉS :

jeudi 15 / 14H30 > 18H / Chapelle / musée Dauphinois (Entrée gratuite dans la limite des places disponibles. Réservation indispensable ci-dessous)

(Introduction vocale de Jean Bouscault et Johnny Rasse à 13H45)

Autour de Pierre & Rémi Janin, Bruno Caraguel et Gilles Clément pour débattre de territoires attentifs aux formes vivantes et qui y puisent inspiration. Les frères Janin sont architectes, éleveurs et paysagistes. Ils utilisent le bétail ou les labours comme des vecteurs performants d’aménagement paysagé. Ils prennent en considération, dans le sens le plus puissant du terme, la nature environnante, la densité poétique du lieu, les êtres vivants qui le peuplent pour penser les spécificités territoriales. Bruno Caraguel dirige la Fédération des alpages de l’Isère et développe avec le LABORATOIRE le projet d’implantation d’un troupeau pérenne sur le campus universitaire réaffirmant la place des animalités dans les humanités, enfin le jardinier Gilles Clément propose des approches respectueuses et confiantes dans les initiatives spontanées de la nature. Les débats seront introduits par l’urbaniste Jennifer Buyck dont les travaux portent sur les liens entre villes, paysages et transitions urbaines.

TABLE RONDE PUBLIQUE 03 – ATMOSPHÈRES

vendredi 16 / 10H > 13H / Chapelle / musée Dauphinois (Entrée gratuite dans la limite des places disponibles. Réservation indispensable ci-dessous)

Le dépaysement est aussi un sujet politique et géopolitique. C’est sous l’angle des atteintes au paysage et aux saccages de nos milieux de vie que les artistes Douglas White et Anaïs Tondeur, la philosophe de l’art Catherine Grout, la géographe Anne-Laure Amilhat-Szary et l’anthropologue Marc Higgin nous invitent à débattre. Ils nous proposent de renouveler nos échelles et hauteurs d’observation, de resituer nos relations à l’horizon, notre manière d’être reliés au monde et à autrui, d’éprouver une co-présence vivante qui nous apporte la sensation d’un sol commun, dans son évidence et sa fragilité.

 

 

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LES CONVERSATIONS

vendredi 16 de 14H à 18H / Séchoir / musée Dauphinois Chaque heure, et durant une heure, les auteurs invités de la saison 4, artistes, chercheurs, porteurs de savoirs vernaculaires ouvrent un duo ou un trio en conversation :

  • 14H : Alexandra Engelfriet, Cino Viggiani, Joël Chevrier, Inge Linder-Gaillard
  • 15H : Jean-Pierre Brazs, Maarten van Eynde, Lucie Goujard
  • 16H : Nastassja Martin, Alain Faure, Daniel Bougnoux, Olivier Labussière

 

INSTALLATIONS & PERFORMANCES :

Souvenirs de voyage  / Douglas White

du 15 octobre 2020 au 28 février 2021 / Terrasses du musée Dauphinois

Nous avions invité cet artiste anglais à s’installer durant plusieurs semaines dans un espace forestier pour mettre à jour les systèmes racinaires. Par soustraction minutieuse des couches d’humus, avec des outils et une méthodologie d’archéologue, Douglas révèle le réseau inextricable et les fragiles interactions, les complicités entre les différents arbres, arbustes, buissons, champignons qui tissent sous terre par des milliers de fils fongiques vivants, un tapis de câblages des mycorhizes reliant les arbres en gigantesques communautés.

Mais les contraintes sanitaires lui ont imposé une approche tout autre. Le mot dépaysement n’existant pas en langue anglaise, Douglas a collecté auprès des sociétés d’autoroute de la région des lambeaux de pneu abandonnés sur les bas-côtés qu’il tresse ensuite comme s’ils constituaient désormais, au même titre que les joncs, l’argile ou la pierre, la matière même du pays.]

Black-Palm de Douglas White

Le parlement des nuages / Anaïs Tondeur

du 15 octobre au 10 novembre 2020 / Chapelle ou chœur des religieuses du musée Dauphinois (suivant les jours)

Un ballon sonde météo équipé d’un filtre à particules taquine chaque jour les nuages. Expédié dans l’atmosphère au voisinage du Mont-Aiguille, il collecte et documente les particules de carbone rencontrées. Ces particules sont ensuite extraites des fibres du filtre dans un bain d’ions afin d’être transformées en encre, puis celle-ci en tirages photographiques. Ainsi, le tirage de chaque photographie est réalisé à partir des particules de noir de carbone collectées le jour où l’image fut captée. Ici, le ciel n’est plus un élément sublime du paysage, détaché de nos vies, mais l’indice inquiétant d’une atmosphère précipitée dans une ère nouvelle.

Anaïs Tondeur Fair Isle (Phare), 23 mai 2017, Niveau de PM2p5 dans l’air: 2,12 μg/m³, Tirage au noir de carbone

Le chant de l’aurore / Marie-Pascale Dube

PERFORMANCE VOCALE jeudi 15 à 10H, vendredi 16 à 12H / Chapelle ou Cloître du musée Dauphinois (Durée : 20 minutes)

Cette comédienne-performeuse s’exprime avec des sons formés depuis l’enfance, des sons qu’elle ne sait pas alors qualifier, des sons qui s’échappent de sa gorge en conservant la présence opiniâtre d’autres états et d’autres lieux du corps. Aspirations, râles, vibrations, halètements, souffles, rien dans ce chant ne ressemble à la voix étalonnée en Occident. Plus tard, Marie-Pascale Dubé saura que ces formes chantées ont déjà existées, dans les chants de gorge animistes nord-américain. Elle ira l’apprendre auprès d’une mentor Inuk, expérience qui changera non seulement sa vision de l’histoire de son pays natal, le Canada, mais bouleversera son histoire intime, sensible, son rapport à la nature et au cosmos. Son chant continue d’évoluer en elle, de la surprendre, de la dépasser et dessine sa propre ligne de temps.

Les chanteurs d’oiseaux / Jean Bouscault et Johnny Rasse

PERFORMANCE VOCALE jeudi 15 à 13H45, vendredi 16 à 13H / Cloître ou chapelle ou verger du musée Dauphinois (Selon la météo. Durée : 60 minutes)

Ces faussaires nous invitent à traverser le paysage, l’oreille attentive au moindre virtuose caché dans les sous-bois. Merle, grive musicienne, sittelle torchepot, fauvette à tête noire, pouillot véloce, mésange, rouge gorge…, ils parviennent à reproduire à l’identique chaque concertiste, lui répondre en improvisant une conversation éblouissante, renouvelée au fil de la marche avec les différentes espèces présentes ce jour-là sur le site.

Jean Boucault (les Chanteurs d’oiseaux)

]

Johnny Rasse (les Chanteurs d’oiseaux)

Avec les arbres / Rachel Gomme

PERFORMANCE DANSÉE > Annulée pour raisons sanitaires

Cette performeuse aborde le paysage urbain par les arbres. Elle imagine une ville qui serait une forêt peuplée d’humains plutôt qu’une métropole décorée d’arbres. Elle compose de vastes échanges d’intimité en invitant chacun à s’appuyer sur leur silence et leur immobilité pour élargir notre perception des paysages, en utilisant le souffle individuel pour converger en une seule respiration collective.

 

À petite dose, ose… / Marie Chéné et Sophie Vaude

PERFORMANCE POÉTIQUE vendredi 16 à 13H45, samedi 17 à 11H et 14H / Cloître du musée Dauphinois (Durée : 15 minutes)

Poète et plasticienne, Marie Chéné joue avec les syllabes et les sons. Elle s’attache aux mots et aux fragments de phrases « déjà-là » ou « déjà écrits » pour mieux en souligner les richesses. Durant l’automne 2016, elle a repéré divers lieux d’écho en Isère à l’invitation de paysage>paysages. Puis elle a écrit pour les parois afin que l’écho complète ses phrases : “Cherchez le mur” complété par l’écho donne “ Cherchez le murmure ”, “ À petite dose ” devient “ À petite dose, ose ” et, dans un lieu où l’écho est plus long, “ Jamais l’étonnement ” se transforme en “ Jamais l’étonnement ne ment ”. Les paysages sont ainsi faits de mots, de noms propres ou communs, de phrases qui tentent de dire nos émotions. En duo avec la comédienne Sophie Vaude, Marie Chéné nous invite ici à tester les qualités acoustiques des murs du cloître et de la chapelle.

 

À côté du réel / de Rachid Ouramdane, interprété par Lora Juodkaite    

PERFORMANCE DANSÉE samedi 17 à 12H et 15H / Cloître du musée Dauphinois

Danseuse de longue date au côté de Rachid Ouramdane, Lora Juodkaite est reconnue pour sa pratique vertigineuse et exceptionnelle de la giration. Elle pratique ce tournoiement depuis l’enfance, comme un rituel quotidien qui la transporte dans un état second. Ce mouvement intrigant et hypnotique plonge le spectateur dans un état particulier qui l’invite à redécouvrir et contempler le lieu sous un angle inconnu. De cette expérience troublante, jaillit une complicité, une intimité intense avec ce qui traverse cette femme.

Lora Juodkaite mise en scène par Rachid Ouramdane

Lora Juodkaite mise en scène par Rachid Ouramdane

Intensité des nuages / Philippe Mouillon    

DÉRIVE POETIQUE les 15, 16, 17 octobre / Cloître du musée Dauphinois

Contempler les nuages est une activité offerte à tous, et qui n’exige que de l’attention, de la sensibilité et de la patience. Pour s’y livrer, il vaut mieux attendre une météo capricieuse et incertaine. On peut jouer à plusieurs, en s’accoudant par équipe à chacun des puits jumeaux du cloître, puis en comparant à voix basse les figures extravagantes apparues dans chacun des reflets. On peut aussi jouer seul, en plongeant son regard afin de contempler le ciel gisant sous terre comme une promesse.

Impluvium de Philippe Mouillon (détail)

Fabularium / Hélène Michel   

PERFORMANCE POÉTIQUE les 15, 16, 17 octobre / Montée Chalemont et les extérieurs du musée Dauphinois

Ce dispositif invite le passant à écrire une lettre d’amour, de regret ou de rupture au paysage. Mais si c’est une rupture, est-ce alors un dépaysement ? Installés en plein air, ce bureau mobile et sa machine à écrire offre un moment protecteur au participant pour porter son attention sur un détail du paysage. Ces lettres qu’elles soient émouvantes, laconiques, drôles ou crues seront autant de signaux sensibles d’un paysage réinterprété.

 

Babel / Jord Galí et la compagnie Arrangement provisoire

PERFORMANCE Annulée pour raisons sanitaires

Babel, création en partage de Jordi Galí, aurait dû rassembler 25 personnes pour fabriquer, ériger et manipuler une grande tour de 12m, en direct sous l’œil des spectateurs. Dans le contexte actuel, c’est à un Babel recomposé auquel nous vous convions. L’équipe du Pacifique et celle d’Arrangement Provisoire érigeront la tour ensemble, symbole d’un commun à créer malgré les aléas de cette rentrée si particulière.

 

Télécharger le programme

 

Ça remue / usages du monde est une initiative de LABORATOIRE réalisée avec les soutiens de l’Idex Univ. Grenoble Alpes, le Département de l’Isère, la Fondation Carasso sous l’égide de la Fondation de France, en collaboration avec les laboratoires PACTE, LECA, CRESSON, LARHRA, MSH-Alpes, CNRS, la Fédération des Alpages de l’Isère, le Pacifique, le CCN2, local-contemporain, l’ESAD.

Les promesses de l’incertitude

  • Sous la double impulsion de Ségolène Marbach, Directrice éditoriale des PUG et de Alain Faure, Directeur de recherche CNRS en science politique, une collection intitulée « le virus de la recherche » d’ebooks écrits par des chercheurs, toutes disciplines confondues, aborde à chaud cette expérience inédite du confinement et de la pandémie Covid-19.

 

  • En réponse à cette invitation, Philippe Mouillon explore les promesses ouvertes par cet état du monde : « Ce temps de confinement nous offre une rare occasion de nous emparer de ces outils – l’échelle, le geste, le temps et l’attention – de les aiguiser, et d’oeuvrer » : les-promesses-de-l’incertitude

     

    Tous les textes sont édités en version numérique, accessibles en ligne et téléchargeables gratuitement : « Le virus de la recherche » 

    (Et pour accompagner votre lecture, cette grive musicienne virtuose enregistrée à la tombée de la nuit…) 

 
 
 

Le dépaysement

On se sent parfois dépaysé devant un paysage, sans pourtant cerner ce qui nous déconcerte, nous désoriente ou nous égare dans ce qui se tient face à nous, irréductible à nos expériences antérieures.

> Le dépaysement fut longtemps le privilège du voyageur, puis du touriste occidental. Si des figures vagabondes comme celle de Victor Segalen ou de Nicolas Bouvier furent véritablement poreuses, traversées par le monde, la quête d’exotisme masqua le plus souvent l’absence d’une véritable volonté d’expérience de l’altérité. Le timbre-poste, la carte postale et le dépliant d’agence de voyage en furent en quelque sorte les icones. Le paysage exotique n’est alors qu’une simple fiction, un décor illusoire débarrassé des lignes de forces radicales qui l’innervent en profondeur.

> Pourtant, la désorientation de celui qui demeure et travaille au pays mais constate combien celui-ci n’est plus familier, comme « dépaysé » lui aussi, vacant, noyé dans une uniformisation planétaire est une expérience dominante du monde contemporain. La déterritorialisation, forme inversée du dépaysement, désaccorde le lieu à ses soubassements, aux usages et complicités accumulés au fil du temps. Les lieux de l’industrie touristique, de l’industrie agricole, des hubs de transport et plateformes offshore occupent les pays comme une armée étrangère, dans l’amnésie des appartenances.

> On peut pourtant se dépayser profondément dans son voisinage proche, dans la solitude d’une longue traversée en forêt, devant la démesure de la haute montagne, ou plus simplement en se déconnectant des réseaux numériques et téléphoniques. Le paysage se métamorphose alors par la simple connivence aiguisée avec la poétique du lieu et des êtres vivants qui le peuplent.

Les propositions artistiques présentées durant cette quatrième saison de paysage>paysages explorent ces différentes facettes du dépaysement, au fil d’expériences de plein air, déclinées dans les parcs publics, les piscines, les lacs, les alpages, les refuges….

Voici quelques-unes des rencontres à venir…

  • L’artiste anglais Douglas White s’installera durant plusieurs semaines pour mettre à jour les systèmes racinaires de quelques arbres. Par soustraction minutieuse des couches d’humus, avec des outils et une méthodologie d’archéologue, Douglas révèle le réseau inextricable et les fragiles interactions, les complicités entre les différents arbres, arbustes, buissons, champignons qui composent ce sous-bois. Les observations scientifiques les plus récentes rejoignent ici les savoirs vernaculaires anciens des forestiers et l’intuition de l’artiste : chaque arbre repose sur un monde souterrain de collaborations infinies et d’alertes entre espèces différentes qui échappe à l’observation humaine et reste bien souvent négligé. Pourtant, tissés ensemble sous terre par des milliers de kilomètres de fils fongiques vivants, les arbres se nourrissent et se guérissent l’un l’autre. Le tapis de câblages des mycorhizes relie les arbres en gigantesques communautés intelligentes qui peuvent s’étendre sur des centaines d’hectares.

Enracinés de Douglas White, au musée Dauphinois / la ferme

  • Avec sa sculpture Pinpointing-progress, installée en majesté dans le parc du Domaine de Vizille, Maarten Vanden Eynde prend appui sur le célèbre conte des frères Grimm « les musiciens de Brême » dans lequel un âne, un chien, un chat et un coq décident de s’entraider pour survivre. Montant les uns sur les autres, ils obtiennent une silhouette animale monstrueuse et braillent à tue-tête pour effrayer leurs ennemis. Mais les animaux cèdent la place ici à nos outils de communication qui s’empilent les uns sur les autres au fil des vagues d’innovation technique, désirables quelques si brèves années, avant de se muer en déchets. Cet amoncèlement joyeux et cocasse nous invite à partir en vacances, ou à oser un pas de côté. Traversé de part en part par une épingle de 10 mètres de haut, comme un gigantesque insecte fixé au sol, cet assemblage incongru nous suggère les bienfaits du désordre et de l’irrévérence….

Pinpointing-progress de Maarten Vanden Eynde, parvis du chateau de Vizille

 

  • Jean-Pierre Brazs utilisera pour son installation intitulée Pourquoi ici ? les codes visuels de la signalétique routière…, mais alors que les panneaux devraient indiquer des interdictions, des dangers et des directions, ils signalent ici de nouveaux points remarquables à notre attention – les nuages, les truites farios ou la ligne d’horizon…. Dans un de ses « contes paysagers », Jean-Pierre Brazs a imaginé que les mots nécessaires pour désigner le paysage s’effaçaient des livres des bibliothèques rendant impossible l’émotion de la lecture et sans objet la contemplation du paysage. Le mot « Cime » avait disparu, tout comme « ravin », « vallée », « combe » et « pâturage ». Ce fut une catastrophe. Des pans entiers de textes littéraires, de carnets de voyage et de comptes rendus d’études se liquéfiaient en d’incompréhensibles et plates phraséologies. Mais au fil de la ViaRhôna, les mots et les signes sont là pour perturber provisoirement notre rapport au lieu.

Pourquoi-ici de Jean-Pierre Brazs / Isle de la Serre

 

  • La céramiste Alexandra Engelfriet lutte avec la matière durant de vastes corps à corps comme cette tranchée de 40 mètres ouverte à la pelle mécanique puis transformée en four pour cuire à 1300 degrés en continu durant 6 jours et 6 nuits une céramique de 30 tonnes, ou ce bain tellurique de matière crue dans lequel elle disparait, pour conjurer la vanité de l’existence humaine, sans autres outils qu’elle-même dans une forme de transe qui conservera son empreinte dans la matière, meurtrie et sensuelle, abandonnée sans retouche ni remord. Invitée à s’inscrire au fil de l’Isère sur le site du campus de Grenoble, elle explorera la mémoire géologique du site.

Alexandra Engelfriet à l’oeuvre durant la réalisation de « tranchée »

  • L’implantation par la Fédération des Alpages de l’Isère d’un troupeau de plusieurs centaines d’animaux sur le campus universitaire n’est pas destinée à tondre de l’herbe en remplaçant les tondeuses à gazon ! Cette initiative souhaite contribuer à redonner une assise sensible aux citoyens, enfants et adultes qui vivent dans la métropole grenobloise, en affirmant la nécessaire présence des animaux dans la cité, et de ceux qui les élèvent, comme une pédagogique nécessaire pour aborder le monde qui vient. Nous inviterons notamment le berger Laurent Four à transmettre à tous comment entrer en complicité et à dialoguer avec les animaux, ainsi que les frères Janin, qui sont architectes, éleveurs, paysagistes et utilisent le bétail comme un vecteur performant d’aménagement paysagé, à partager comment mieux prendre en considération, dans le sens le plus puissant du terme, la nature environnante pour penser le lieu.

 

Dialogue avec un troupeau, conduit par le berger Laurent Four

 

Découvrir un article sur art catalyse de l’été 2020

 

 

L’édition : paysage-animal

Alors que nous sommes témoins de l’effondrement des populations animales, il nous semble urgent et nécessaire de mettre en lumière la part animale de l’humanité.

L’humanisation du monde a prospéré en asservissant les autres espèces, jusqu’à oublier l’enracinement animal de nos sensations et de nos émotions, cette lointaine complicité dont témoignent les peintures des grottes de Lascaux ou celles de Chauvet. Sauvages ou domestiqués, les animaux ont élargi notre conscience et nos perceptions, et ce serait une régression épouvantable d’accepter un monde partagé entre l’industrialisation des animaux « utiles » et un désert écosystémique généralisé.

Pour que l’humanité n’échappe pas aux êtres humains, il nous faut recomposer les sociétés humaines afin de faciliter le déplacement, le séjour et l’épanouissement des animalités, c’est-à-dire assembler des enchevêtrements de rythmes et de trajectoires qui ne se plient pas seulement aux intérêts et aux projets humains. Car les animaux participent à l’équilibre de nos sociétés par leurs travaux, leur affection, l’irréductibilité de leurs comportements.

En associant les savoirs et les sensibilités de bergers, artistes, éleveurs, philosophes, anthropologues, éthologues, géographes…, paysage-animal dessine les contours d’une relation plus intense et équilibrée entre les êtres vivants partageant une même terre.

Dialogue avec un troupeau / Laurent Four dans le cadre de
Ça Remue !

 

Sommaire du numéro :

  • Mode d’emploi Alain Faure
  • Paysage-animal Philippe Mouillon
  • Humus humanité Daniel Bougnoux
  • Didactiques de l’accordage affectif pour temps d’effondrement Yves Citton
  • Enchanté par le troupeau Inge Linder-Gaillard
  • Un troupeau sur le campus, pour quoi faire ? Bruno Caranguel
  • Pâturer les champs de la connaissance Guillaume Lebaudy
  • Animaux au travail Jean Estebanez
  • L’université intégrée, une symphonie pastorale Jean-Charles Froment
  • Affleurer le paysage Olivier de Sépibus
  • Un monde d’insectes Laurence Després
  • Transmettre des émotions Katia Després et Gael Sauzeat
  • Gonepteryx Rhamni Caroline Duchatelet
  • Tentatives d’approches d’un point de suspension  Yoann Bourgeois
  • De l’humeur des araignées Conversation avec Abraham Poincheval
  • Les textures du temps Jordi Galí
  • Des places pour le vivant Conversations avec Victoria Klotz
  • Mémoire d’eau Conversation avec Cyrille André
  • Animisme et wilderness Nastassja Martin
  • Paysages humanimaux Coralie Mounet
  • Entre chiens et loups Conversation avec Antoine le Menestrel
  • Migrateurs Antoine Choplin
  • Le vivant, les sons et le territoire Henry Torgue
  • Conditions animales Maryvonne Arnaud
  • Pour une ville où les murs piaillent et chantent Milena Stefanova
  • Atlas des mondes de chacun Philippe Mouillon
  • Perdu pigeon blanc Conversation avec Alban de Chateauvieux
  • Les animés Conversation avec Alexandra Arènes

 

Ont contribué à ce numéro : Cyrille André, Anne-Laure Amilhat Szary, Alexandra Arènes, Maryvonne Arnaud, Jean Boucault, Daniel Bougnoux, Yoann Bourgeoi, Laure Brayer, Bruno Caraguel, Alban de Chateauvieux, Antoine Choplin, Yves Citton, Laurences Després, Katia Després, Caroline Duchatelet, Jean Estebanez, Laurent Four, Jean-Charles Froment, Jordi Galí, Soheil Hajmirbaba, Catherine Hannï, Victoria Klotz, Béatrice Korc, Olivier Labussière, Guillaume Lebaudy, Inge Linder-Gaillard, Nastassjia Martin, Antoine le Menestrel, Jérôme Michalon, Philippe Mouillon, Coralie Mounet, Abraham Poincheval, Johnny Rasse, Gael Sauzeat, Milena Stefanova, Olivier de Sépibus, Henry Torgue.

Images originales de : Cyrille André, Jean-Pierre Angei, Alexandra Arènes, Maryvonne Arnaud, Friedrich Böhringer, Marianne Elias, Olivier Garcin, Sonia Levy, Vita Manak, Fred Massé, Stéphanie Nelson, Olivier de Sépibus

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