Mar 14, 2013 | Laboratoire fr
À 2000 mètres du Vieux-Port, le tunnel prolongeant le boulevard National joue, pour le troisième arrondissement de Marseille, un rôle de porte et de lien avec les autres quartiers de la ville. La voie de chemin de fer agit comme une frontière physique et symbolique puissante entre le quartier haussmannien de Longchamp et le quartier populaire très dégradé du boulevard National.
Chaque jour, d’innombrables piétons, cyclistes ou automobilistes affrontent cet espace, car la traversée inquiète, embarrasse ou affecte. Mais elle peut aussi détacher le passant de sa vie quotidienne, pour l’entraîner dans une expérience nouvelle. Si le lieu inquiète et repousse, il peut aussi, selon l’imaginaire de chacun, évoquer la grotte de Lourdes, la voûte céleste, la caverne de Platon ou un théâtre d’ombres.
Invités à Marseille pour l’année Capitale 2013, Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon ont choisi d’amplifier ces potentialités pour obtenir une dramaturgie d’échelle urbaine qui impulse des trajectoires inattendues, lignes d’erres buissonnières, fugues indéterminées. Le geste artistique profite des différences sociales et générationnelles, symboliques et esthétiques, pour les mettre en scène et les inviter à se côtoyer.
Comme tant de grottes naturelles transformées en sanctuaires, ce tunnel devient ainsi le réceptacle d’ex-voto contemporains qui puisent bien au-delà de la tradition locale, et traversent les cultures, les systèmes symboliques et l’histoire pour bâtir une poétique de bricolage, assemblage de mots, fragments d’espoirs et de peurs, tremblements incalculables, fulgurances fragiles.
Chaque vœu collecté auprès des passants est en quelque sorte une dédicace, un don individuel offert à tous : j’offre à ma ville et à mes proches, et à tous les inconnus, un souhait publiquement inscrit et partagé ici, avec tous, dans une même communauté ouverte au nouvel arrivant et héritière des récits noués là précédemment.
Ces vœux traduisent les doutes, les espoirs et les peurs de nos contemporains. En voici quelques exemples :
J’aimerais respirer sous l’eau.
Je voudrais une vie normale, comme les autres.
Quand je serai grand, je voudrais ne pas aller en prison.
Voir le bout du tunnel, trouver la sortie.
Remonter le temps, recommencer avec ce que j’ai dans la tête maintenant.
Qu’on me donne vingt ans de plus à vivre.
J’aimerais une augmentation de salaire.
Me vider la tête, penser à autre chose.
Je voudrais que les garçons me trouvent belle.
Avoir une autorisation de travail.
Je voudrais retrouver l’étoile brillante que j’ai perdue ici.
Je voudrais que l’humanité sorte du chaos, vite ! Moi y compris.
Et voici quelques traductions en ex-voto contemporains :
L’originalité de l’installation Ex-voto, au-delà de la grande présence de l’œuvre disséminée dans le tunnel National, réside dans le caractère systémique du nœud d’échanges sociaux et de croisement d’imaginaires mis en place à l’occasion de l’oeuvre installée. Cette stratégie d’inscription de l’originalité de chacune de nos vies dans un contexte local, combine en effet une mémoire territorialisée, notamment celle des bombardements de la seconde guerre mondiale, à des usages déterritorialisés et amnésiques, ceux des nouveaux usagers. Elle tente de revitaliser la métropole, comme le croisement génétique et le renouvellement générationnel le font depuis l’aube des temps, afin de produire un tissu local organique, singulier et singularisant.
Parce qu’Ex-voto se veut une œuvre individualisante et incluante, elle ne s‘appuie pas sur une identité de quartier, toujours excluante. Chaque vœu est en quelque sorte une dédicace, un don individuel offert à tous : j’offre à ma ville et à mes proches, et à tous les inconnus, un souhait publiquement inscrit et partagé ici, avec tous, dans une même communauté ouverte au nouvel arrivant et héritière des récits noués là précédemment.
EX-VOTO est une curiosité d’échelle urbaine proposée par Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon, et réalisée en collectant les vœux d’habitants de Marseille, au fil des rencontres. Cette proposition s’inscrit dans le programme “ Quartiers Créatifs ” conçu et porté par Marseille-Provence 2013 avec le soutien financier de la Fondation Logirem, de Logirem, de la Caisse des Dépôts et Consignations, du Fonds Européen de Développement Régional, de Marseille Provence Métropole et de la ville de Marseille. Une production de Marseille-Provence 2013.
Conception plastique et conception urbaine Maryvonne Arnaud, Philippe Mouillon; Régie générale, Pierre Auzas; Conception technique, Marian Janda, Michel Arnaud; Conception graphique, Pierre Girardier et Philippe Borsoi; Médiation de proximité, Cendrine Chanut.
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Juil 9, 2012 | Laboratoire fr
En 2009, le Musée des Confluences a confié à Laboratoire la conception et la réalisation d’un prototype multimédia tentant de capter à l’échelle de la planète le foisonnement des symbolisations et des pratiques sociales contemporaines puis de les représenter pour un public provenant lui même du monde entier.
Cet objet dynamique complexe chahute et oxygène nos représentations. Il construit un voisinage mondial articulant les attachements identitaires contemporains, interrogeant l’émergence de formes hybrides, et assemble le cercle familier et composite de notre entourage quotidien avec l’altérité radicale, luxuriante, instable, du système monde.
Derrière l’échelle locale de sujets apparemment ancrés dans une identité stabilisée, situés dans un temps et un espace nécessaires, s’échangent en effet époques et références, se bricolent des attachements inconnus, certains savants, d’autres étourdis.
Ces hybridations bouleversent et renouvellent les ancrages identitaires et les formes héritées. Des stabilités millénaires s’effacent ou s’exacerbent, s’enchâssent dans des formes identitaires floues ou les rejettent, traversent des turbulences browniennes où elles se nouent, s’affolent, s’apprivoisent, ou disparaissent pour un nouveau millénaire.
Le visiteur est plongé dans un ensemble asynchronique de projections qui conjugue le résultat d’une collecte disséminée sur la planète, durant laquelle la plasticienne Maryvonne Arnaud a réalisé un corpus d’attitudes sociales et de postures culturelles contemporaines, corpus assemblé numériquement puis mis en illusion de mouvement par un assemblage de 30 images par seconde, et une polyphonie centrée sur les textures de la voix projetée dans de multiples langues, assemblée aléatoirement par un programme élaboré par le compositeur Bernard Fort.
Ce système dynamique fut testé en public, en avril 2011, pour le lancement du festival Les Détours de Babel, avec le soutien du GMVL. Il est désormais proposé en diffusion dans les centres d’art et les scènes contemporaines d’Europe.
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Fév 28, 2012 | editions fr, local contemporain fr
local.contemporain 06 / 80 pages / éditions le bec en l’air
Textes de Patrick Chamoiseau, Bernard Stiegler, Daniel Bougnoux, Yves Citton, Thanh Nghiem, Chris Younes, Jean Guibal, Olivier Frerot, André Micoud, Janek Sowa, Luc Gwiazdzinski, Henry Torgue.
Images de Maryvonne Arnaud, Sylvain Pauchet.
Déboussolés !
C’est le terme qui s’impose fréquemment pour témoigner de l’incompréhension dans laquelle nous plongent les situations déconcertantes à l’échelle personnelle comme à celle de l’évolution du monde.
L’impression domine que les coordonnées stables qui assuraient un repérage correct et quasi permanent au fil de la vie d’une personne, vacillent et sont mises en doute. Fait nouveau, le monde change plus vite que la conscience individuelle. Les grands systèmes, la famille, le travail, la religion, la politique, l’économie, et même l’argent… s’avèrent des colosses aux pieds d’argile. Que devient-on lorsque les points de repère qui permettent à chacun de s’identifier et de se situer deviennent flottants ? Une époque sans points de repère partagés est-elle viable ?
Un double mouvement s’observe : d’une part, une quête éperdue de balises et d’amarres pour cadrer et référencer une vie symbolique rapiécée, où la consumation des valeurs fait écho à la consommation frénétique des objets ; d’autre part, un flicage effréné de la localisation et de la chronologie de chaque individu, piégé dans le labyrinthe de ses mots de passe, et dont chaque action banale en réseau génère des coordonnées l’épinglant sur la carte inquiétante d’une énigmatique surveillance mondialisée.
Pour comprendre quels sont les repères d’aujourd’hui et quels pôles attirent nos boussoles, ce numéro met en résonance trois ensembles : les lieux-dits d’une région, qui la parlent à leur manière et témoignent de la sédimentation de l’histoire ; les photographies de Maryvonne Arnaud, véritables commentaires visuels, qui expriment sans mots l’appel sensible aux repères ; et une suite de réflexions ouvertes, abordant plus particulièrement trois domaines fondamentaux : le lieu et ses racines ; les objets, la technique et le savoir ; la langue, tradition et traduction.
Toutes ces citations proviennent des débats de l’Atelier-monde, un cycle de rencontres initié par Philippe Mouillon et soutenu par La Criée, centre d’art contemporain de Rennes. Des philosophes, chercheurs, artistes et poètes y débattent librement de ces questions, constituant une « collecte mondiale des doutes », pistes de réflexion éloignées de toute doctrine et fonctionnant plutôt à la manière d’un jeu – dans les deux sens de ce mot : comme exercice ludique et aussi comme la légère mobilité qui permet l’aisance, évitant immobilisme et rigidité.
« Il n’y a pas de vérité première, il n’y a que des erreurs premières, la vérité est une erreur rectifiée » écrit Gaston Bachelard. C’est à l’adoption d’un regard « rectificateur » que voudrait contribuer ce numéro : faire émerger une pensée de la nuance, ne refuser aucun savoir, archaïque ou étranger, intégrer à l’analyse les visions de l’art et les intuitions de la poésie, jusqu’à faire du doute un repère.
Henry Torgue
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