Fév 19, 2012 | Laboratoire fr
Inventer un dispositif pour l’espace public ruiné de Johannesburg est une tâche complexe. Dès son premier voyage, Maryvonne Arnaud fut séduite par l’incroyable diversité humaine de la ville. Toujours attentive aux bricolages de survie des populations des mégapoles, elle fut ici alertée par les usages quotidiens du sous-prolétariat noir qui circule dans des milliers de combis, sorte de minibus de transport en commun à l’économie informelle. Elle composa rapidement ces éléments en proposant aux habitants qui le souhaitaient de réaliser leurs portraits photographiques, puis de monumentaliser ces visages et d’en recouvrir les flancs des combis.
Parallèlement, Laboratoire contacta douze d’écrivains originaires d’Afrique ou de la diaspora noire dans le monde en leur proposant de légender ces portraits.
Une fois en possession des textes de Nurrudin Farah, Mia Couto, Ahmadou Kourouma, Tahar Ben Jelloun, Emmanuel Dougala, Lesego Rampolokeng ou Maryse Condé, il restait encore à accorder cette intervention urbaine à la réalité de l’illettrisme d’une part, et à la tradition de l’oralité dans les cultures africaines d’autre part. Les textes furent traduits dans la pluralité des langues en usage en Afrique du sud (anglais, afrikaans, zoulou, xhosa, zwazi, ndebele…), puis enregistrés sur cassettes afin d’équiper les radios des combis recouverts des portraits.
L’exposition mobile pouvait débuter. Durant trois mois, une vingtaine de véhicules firent la navette d’un bord à l’autre de Johannesburg, en tentant d’en suturer les béances.
Télécharger le commentaire de Catherine Blondeau, Directrice de l’IFAS de Johannesburg
Textes originaux :
Nos différences nous bousculent. Je suis Indien, je suis rouge, je suis Africain, je suis blanc, je suis noir, je suis zoulou, ma peau est blanche, ma peau est noire comme un cœur qui chante le bonheur de vivre dans la diversité, dans les couleurs de toutes les épices.
Peau noire, peau rêvée dans un destin cruel. Peau blanche, rêve sur rêve, rêve de lumière, mais c’est le même sang qui coule dans les veines de l’espoir, dans les ruelles de l’évidence.
Tahar Ben Jelloun
———————————————————
Il n’y a pas de pierre précieuse sans ses grains de poussière.
Nuruddin Farah
———————————————————
Une certaine étrangeté, la ride légère du regard. Comme si cet enfant interrogeait le monde, ce
même monde qui l’invite à abandonner l’enfance. A la commissure des lèvres, le sourire peu à peu
s’éteint, effaçant l’innocence qui ne servira plus après l’enfance.
On devine le tout : le sari, les couleurs, les parfums. Comme si une âme entière se dévoilait dans
le sourire ouvert. Les rares fils blancs de la chevelure n’arrivent pas à neutraliser la jovialité. La
femme sort de la photo, elle n’accepte pas le cadre du portrait.
La rondeur du visage, soulignée par l’arc du bandeau. Et la fente des yeux où se décèle une joie
contenue, orientale. Cette Afrique est déjà Orient, nous sommes des êtres de frontière entre des
mondes divers.
Mia Couto
———————————————————
Braise, braise
Tisons de tes yeux
Sous le diademe de tes cheveux
Crepus.
Ton sourire timide luit comme
Le devant-jour
—
Braise, braise
Tisons de tes yeux.
Tes yeux portent la gravite de l’espoir
Et le serieux des lendemains
Qui ne connaissent pas la peur
—
Braise, braise
Tisons de tes yeux,
Ta beaute foudroie
Malfini qui plane
A hauteur de soleil
—
Braise, braise
Tisons de tes yeux,
Es-tu ange ou demon?
Lapin ou Zamba?
Comment le savoir?
Maryse Condé
———————————————————
Eclatant de rire
Avec les épaules qui s’agitent sous l’exultation
Le garçon s’interroge sur le futur
Et sur l’arrivée de la nouvelle nation
Dans cette perplexité joyeuse il observe les visages
Qui s’étalent sur les pages des hebdomadaires
Les jeunes aussi bien que les vieux sans dignité
Rêvent du temps où ils n’étaient que des collégiens radicaux
Les visages sont les restes de la mémoire collective
Pourvus de la sagesse des temps anciens
Qui fouille dans les profondeurs de l’entrepôt
Et qui a le pouvoir d’invoquer les images soulageantes
Les sourires, les renfrognements, les grimaces ou la force d’âme
Les symboles de joie, de peine, de perfidie ou de courage
Sont gravés en sang sur les visages
Et parlent de vie, de mort et de plénitude éternelle
Mandla Langa
———————————————————
tête à nattes / tête à pattes
pimpant tapis d’poils
plante là ta peur du pire
ce millénium de merde
botte lui l’arrière-train
boxe en cadence, boxe et tape
va y cool au cœur du guerrier
grince et grippe l’ankylose
rap ou rock te prend la tête
l’harmonie anorexique
tambour saoulé
tambour et basse
etouffent un sanglot de vomi
Lesego Rampolokeng
———————————————————
Point n’est besoin de parures d’or : une touffe de
cheveux, un sourire, et la beauté du monde éclate sur un visage.
Un papillon sur une fleur
Une couronne sur la tête d’un roi
Une touffe de cheveux qui parade
Sur un front dégarni
Tout est parure, tout est beauté.
Emmanuel Dongala
———————————————————
Je passe un peigne lentement dans mes longs cheveux noirs
J’en retire le boucan de la circulation de Jo’bourg
Les cris des marchands ambulants et 99 centimes
Les plusieurs langues qui se bousculent
La fumée, les trottoirs se déroulant
Qui sont peints jaune mangue, rouge tomate
Où les épis de maïs deviennent or
Et les saucisses éjaculent leur colère graisseuse
Tout le grabuge électrique de Jo’bourg. Jusqu’à
Ce que tout ce qui me reste soit mon doux sourire
Chris van Wyk
———————————————————