EX-VOTO

À 2000 mètres du Vieux-Port, le tunnel prolongeant le boulevard National joue, pour le troisième arrondissement de Marseille, un rôle de porte et de lien avec les autres quartiers de la ville. La voie de chemin de fer agit comme une frontière physique et symbolique puissante entre le quartier haussmannien de Longchamp et le quartier populaire très dégradé du boulevard National.

Chaque jour, d’innombrables piétons, cyclistes ou automobilistes affrontent cet espace, car la traversée inquiète, embarrasse ou affecte. Mais elle peut aussi détacher le passant de sa vie quotidienne, pour l’entraîner dans une expérience nouvelle. Si le lieu inquiète et repousse, il peut aussi, selon l’imaginaire de chacun, évoquer la grotte de Lourdes, la voûte céleste, la caverne de Platon ou un théâtre d’ombres.

Invités à Marseille pour l’année Capitale 2013, Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon ont choisi d’amplifier ces potentialités pour obtenir une dramaturgie d’échelle urbaine qui impulse des trajectoires inattendues, lignes d’erres buissonnières, fugues indéterminées. Le geste artistique profite des différences sociales et générationnelles, symboliques et esthétiques, pour les mettre en scène et les inviter à se côtoyer.

Comme tant de grottes naturelles transformées en sanctuaires, ce tunnel devient ainsi le réceptacle d’ex-voto contemporains qui puisent bien au-delà de la tradition locale, et traversent les cultures, les systèmes symboliques et l’histoire pour bâtir une poétique de bricolage, assemblage de mots, fragments d’espoirs et de peurs, tremblements incalculables, fulgurances fragiles.

Chaque vœu collecté auprès des passants est en quelque sorte une dédicace, un don individuel offert à tous : j’offre à ma ville et à mes proches, et à tous les inconnus, un souhait publiquement inscrit et partagé ici, avec tous, dans une même communauté ouverte au nouvel arrivant et héritière des récits noués là précédemment.

Ces vœux traduisent les doutes, les espoirs et les peurs de nos contemporains. En voici quelques exemples :

J’aimerais respirer sous l’eau.

Je voudrais une vie normale, comme les autres.

Quand je serai grand, je voudrais ne pas aller en prison.

Voir le bout du tunnel, trouver la sortie.

Remonter le temps, recommencer avec ce que j’ai dans la tête maintenant.

Qu’on me donne vingt ans de plus à vivre.

J’aimerais une augmentation de salaire.

Me vider la tête, penser à autre chose.

Je voudrais que les garçons me trouvent belle.

Avoir une autorisation de travail.

Je voudrais retrouver l’étoile brillante que j’ai perdue ici.

Je voudrais que l’humanité sorte du chaos, vite ! Moi y compris.

Et voici quelques traductions en ex-voto contemporains :

 

 

 

 

 

 

 

L’originalité de l’installation Ex-voto, au-delà de la grande présence de l’œuvre disséminée dans le tunnel National, réside dans le caractère systémique du nœud d’échanges sociaux et de croisement d’imaginaires mis en place à l’occasion de l’oeuvre installée. Cette stratégie d’inscription de l’originalité de chacune de nos vies dans un contexte local, combine en effet une mémoire territorialisée, notamment celle des bombardements de la seconde guerre mondiale, à des usages déterritorialisés et amnésiques, ceux des nouveaux usagers. Elle tente de revitaliser la métropole, comme le croisement génétique et le renouvellement générationnel le font depuis l’aube des temps, afin de produire un tissu local organique, singulier et singularisant.

Parce qu’Ex-voto se veut une œuvre individualisante et incluante, elle ne s‘appuie pas sur une identité de quartier, toujours excluante. Chaque vœu est en quelque sorte une dédicace, un don individuel offert à tous : j’offre à ma ville et à mes proches, et à tous les inconnus, un souhait publiquement inscrit et partagé ici, avec tous, dans une même communauté ouverte au nouvel arrivant et héritière des récits noués là précédemment.

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EX-VOTO est une curiosité d’échelle urbaine proposée par Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon, et réalisée en collectant les vœux d’habitants de Marseille, au fil des rencontres. Cette proposition s’inscrit dans le programme “ Quartiers Créatifs ” conçu et porté par Marseille-Provence 2013 avec le soutien financier de la Fondation Logirem, de Logirem, de la Caisse des  Dépôts et Consignations, du Fonds Européen de Développement Régional, de Marseille Provence Métropole et de la ville de Marseille. Une production de Marseille-Provence 2013.

Conception plastique et conception urbaine Maryvonne Arnaud, Philippe Mouillon; Régie générale, Pierre Auzas; Conception technique, Marian Janda, Michel Arnaud; Conception graphique, Pierre Girardier et Philippe Borsoi; Médiation de proximité, Cendrine Chanut.

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répliques

répliques est une installation lumineuse et pérenne, conçue par Philippe Mouillon, qui puise son inspiration dans la tradition des jeux d’ombres et de lumières de l’architecture arabe, pour l’enrichir de l’imaginaire d’artistes contemporains originaires du monde entier.

Elle est située en plein cœur d’Alger, dans le ventre de la ville : le fameux Tunnel des Facultés.

Lorsqu’il pénètre dans le tunnel, à pied ou en voiture, le passant s’immerge dans une œuvre immatérielle englobant totalement sa perception. Cette installation est greffée sur le réseau d’éclairage public d’Alger, afin de s’allumer automatiquement et de composer ainsi d’heure en heure une mise en scène nouvelle.

Conçues par des artistes dont la recherche formelle et symbolique porte sur l’ombre et la lumière, ces graphies de lumière ont traversé la planète pour venir inscrire ici, dans le centre symbolique d’Alger, un imaginaire proliférant, à la fois singulier et universel. Les artistes invités sont Rachid Koraïchi, Daniel Laskarin, Farid Belkahia, William Kentridge, Gonçalo Ivo, Ene Kull, Ammar Bouras, Liz Rideal, Pinaree Sanpitak, Jyoti Bhatt, Richard Prince, Abderrazak Sahli, Meelis Salujärv, Gülsun Karamustapha, Ester Grinspum, Manisha Parekh, Denis Martinez, Rekha Rodwittiya, Sumi Wakiro, Lu Shengzhong, Nicola Durvasula, Adel El Siwi, Adlane Djeffal, Jacqueline Fabien.

Philippe Mouillon, Ester Grinspum,

Quelques ruses pour apprivoiser l’ombre

Répliques est dédié à l’homme de la rue, le marcheur infatigable du tunnel des Facultés.  J’ai passé tant d’heures à le regarder traverser le tunnel depuis ma première visite en janvier 2002, guidé dans Alger par Rachid Koraichi ! Tour à tour débonnaire, insouciant ou fourbu, parfois seul mais le plus souvent en grappes compactes et chaloupées, ce n’est jamais le même homme, la même femme qui s’immerge dans le tunnel, traverse le tube inscrit au plus intime d’Alger, pour réémerger au soleil quelques minutes plus tard. Cette expérience renouvelée paraîtra bien banale, mais il s’agit pourtant du tutoiement quotidien avec la ville souterraine, celle des fondations et des humeurs anciennes, la matrice des rêves, des ombres et des lumières.

Des lumières, justement ! Désormais le passant s’immerge pleinement en elles. Chaque traversée est pour lui une expérience unique puisque l’espace l’enveloppe jour après jour d’une manière nouvelle : chaque graphie de lumière a traversé la planète pour venir s’inscrire ici comme une égratignure ou parfois une eau-forte, s’inscrire là comme un tatouage ou comme une cicatrice. Car derrière chaque oeuvre, il y a comme un éblouissement, ce foisonnement du monde, cette diversité ivre du vivant, il y a un artiste à ce même instant quelque part dans le monde, et qui du Caire ou de Bangkok offre à Alger sa propre vision de la lumière, sa recette intime pour apprivoiser l’ombre.

Le Tunnel des Facultés est désormais un précipité d’imaginaires : voici pour le premier Opus (Octobre 2003) les cocktails d’ombres et de lumière d’Ammar Bouras, la geste éblouie de Rachid Koraichi, puis les génies majestueux, fragiles, incertains de l’égyptien Adel el Siwi, les ombres découpées de Gülsun Karamustapha, enfin venues de l’extrême ouest canadien, depuis l’île de Vancouver, les silhouettes ambiguës de Daniel Laskarin. L’Opus 2 (Mars 2004) associe la Brésilienne Ester Grinspum dont la batterie de casseroles semble joyeuse ou revendicative, William Kentridge qui colporte avec lui son monde d’errance perpétuelle, Denis Martinez enfin de retour au pays natal, Jyoti Bhatt plongé dans un imaginaire inscrit dans la forêt des temps, et enfin Lu Sheng-Zhong qui avec une étonnante simplicité résume l’érosion contemporaine des différences. Chaque oeuvre est là dans son unicité. L’une interpelle, l’autre rassemble, l’une s’envole, l’autre rythme et cadence le tunnel, l’une s’échappe, se dérobe, l’autre nous éprouve, l’une s’indigne, l’autre nous murmure…. Il n’y a plus une vérité mais cent histoires enchevêtrées, mille mondes insondables, vertigineux, à la démesure du monde présent.

D’autres Opus viendront ensuite, témoignant d’autres pratiques du monde, de ruses subtiles et fragiles émises depuis Johannesburg ou Vilnius. Ces images impalpables, dont la seule durée semble être celle de la persistance rétinienne, enracinent au cœur d’Alger une complicité quotidienne avec la lumière de l’autre.

Philippe Mouillon

Oeuvre originale de Meelis Salujärv

Oeuvre originale de Lu Shengzhong

Oeuvre originale de Jyoti Bhatt

Oeuvre originale de Rachid Koraichi