Ground scars, threads between two dizziness or dust web between two « crossings » creates an original dialogue between the conquest of the mountain landscape by walking, and the progression of the words, memory and ideas.

 

Four writers, Pascal Amel, Jacques Darras, Jacques Lacarrière and Hervé Planquois together with the photographer Maryvonne Arnaud, associate their looks and confront their perceptions of the same territory, the Étançons valley at the bottom of the south face of the Meije

 

« crossings» is a true new experiment in the artistic logic of Laboratoire, usually rooted in urban contexts, since it is here a natural site, particularly imposing, where there’s almost no human-beings

 

Both the images and the words that compose this installation running along a path create a contemporary imaginary of the high mountains.

 

 

 

ORIGINAL TEXT BY JACQUES LACARRIÈRE

Cicatrices du sol, fils entre deux vertiges ou toiles de poussière entre deux horizons ?

Tracés par les milliers de pas des cheminants, ils sont voies d’aventure et réseaux de patience, miroirs et sceaux de nos efforts. Et sur chacun de leurs versants on peut lire partout l’ubac de nos fatigues.

Cheminer, ici, c’est ascendre. Côtoyer les nuages et surprendre le ciel en son intimité. Devenir voyeur d’azur et d’infini.

Au bout de ce chemin des cimes, je lis cette inscription : pèlerin des nuages, ici commence l’oratoire des vents.

Pérégriner : le plus beau verbe pour dire jadis le sens et le but du voyage. Pérégrin : le plus beau mot d’antan pour dire l’oblat et le pratiquant des chemins. Pèlerin : son double d’aujourd’hui, son frère en cimes et en vertiges.

 

Au terme de la montée, soudain et comme inattendu : le ciel. Pour lui, les monts s’écartent, les vallées s’incurvent, l’horizon se déploie. Et quel plaisir de sentir et savoir que là-haut, tout à l’heure, le ciel vous donnera audience. À condition que tout soit clair. En lui et surtout en vous.

Grandiose. Mot risqué, insolent mais qui veut dire au fond : oser ce qui est grand. Ici, la montagne a osé. À nous aussi, d’oser être grand, être haut. De nous mettre, le temps d’un essor, à l’école des aigles. D’apprendre comme eux à glatir dans l’azur. Glatir, la seule façon ici de parler aux montagnes.

Pierres amoncelées. Pierres éparpillées. La Terre elle-même jadis a dû choisir : rassembler ses enfants ou bien les disperser aux quatre vents. Enfants des quatre vents, les pierres des montagnes.

Sous la houle figée des versants, chaque pierre est balise immobile, écume pétrifiée de la mémoire des glaces.

Ayons toujours en vue l’humilité des pierres. Lourdes ou légères, denses ou friables, elles demeurent indifférentes aux joies, insensibles aux remords, étrangères à tout ressentiment. C’est pour cela qu’elles font partout cortège aux pentes comme aux gouffres, aux chemins comme aux cimes, aux neiges comme aux vents. Elles sont parures des solitudes et parements des altitudes. Demeurer où le sort les a jetées ou rejetées et résister au temps est leur unique but. Ayons toujours en vue la patience des pierres.

À la croisée des vents, il convient d’édifier pierre à pierre son havre et sa maison de certitude.

Cairns : bouées de pierre disposées tout au long des chemins d’éclairs et d’orages pour orienter et pour aider les naufragés de l’altitude.

Une à une, sur le socle nu des saisons, ces pierres déposées, distillées par le ciel, comme les stalactites de l’azur.

Je suis seuil et je suis chemin.

Je suis pierre qui dit l’horizon.

Je suis l’enclos des pas nomades.

Je suis paume où se lisent les lignes de l’ailleurs.

Trop loin. Trop lourd. Trop immobile. Roc ancré dans le sol, le sol inéluctable après les lendemains d’ivresse immaculée. Dépôt ou résidu d’un vertige glaciaire ? Débris ou déchet porté, emporté, transporté dans l’anonymat des moraines, et déporté dans les enclos du vent ?

Depuis des millions d’années, je gis. Orphelin du froid.

Lentes reptations des glaces qui avancent, oppressent puis se retirent. Et qui m’ont laissé là, témoin de leurs élans, de leurs désirs inaboutis.

Témoin aussi des griffes et des serres du vent : ces gerçures, cassures, vergetures, ces lézardes sur la peau fossile du temps.

Et maintenant, devenu nuit, livré aux ecchymoses des saisons, aux fantaisies du vent, aux érosions du temps, qui me délivrera du châtiment d’être immobile ? Qui me restituera la douceur erratique ?

 

Jacques Lacarrière