memento memori

 

Les présences 3937 (copyright P.Mouillon 2024 )

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Memento memori est une étude prospective, actuellement en cours de développement, qui deviendra publique dans quelques mois, sous une forme hybridant la création contemporaine et la recherche en sciences sociales.

Elle poursuit nos travaux antérieurs autour du vivant et des vitalités, sous un nouvel angle. Car l’art demeure un outil puissant pour recadrer nos vies, les situer à leur juste mesure dans le temps long de l’humanisation et le grand cycle du vivant. Il peut nous aider notamment à admettre combien les générations disparues composent notre matrice, combien nous menons toujours notre vie, accompagné par leurs mots et avec leurs outils. C’est ainsi qu’elles nous socialisent et nous humanisent car elles forment cet humus, ce fonds dont l’étymologie est commune aux mots humain, humanité, inhumé et humilité. Il s’agit d’une fonction sociale vivace, c’est à dire agissante dans le monde des vivants. Aucune civilisation n’existerait sans cette transmission des mots et des savoirs, des symboles et des outils.

Rien de nécrophile dans cette recherche mais, à l’heure de l’anthropocène et de l’effondrement des équilibres écosystémiques, la volonté de questionner et recadrer nos vies, de les situer à leur juste mesure dans le temps long de l’humanisation et dans les dynamiques enchevêtrées du vivant.

 

STUDIO BABEL

En 2009, le Musée des Confluences a confié à Laboratoire la conception et la réalisation d’un prototype multimédia tentant de capter à l’échelle de la planète le foisonnement des symbolisations et des pratiques sociales contemporaines puis de les représenter pour un public provenant lui même du monde entier.

Cet objet dynamique complexe chahute et oxygène nos représentations. Il construit un voisinage mondial articulant les attachements identitaires contemporains, interrogeant l’émergence de formes hybrides, et assemble le cercle familier et composite de notre entourage quotidien avec l’altérité radicale, luxuriante, instable, du système monde.

Derrière l’échelle locale de sujets apparemment ancrés dans une identité stabilisée, situés dans un temps et un espace nécessaires, s’échangent en effet époques et références, se bricolent des attachements inconnus, certains savants, d’autres étourdis.

Ces hybridations bouleversent et renouvellent les ancrages identitaires et les formes héritées. Des stabilités millénaires s’effacent ou s’exacerbent, s’enchâssent dans des formes identitaires floues ou les rejettent, traversent des turbulences browniennes où elles se nouent, s’affolent, s’apprivoisent, ou disparaissent pour un nouveau millénaire.

Le visiteur est plongé dans un ensemble asynchronique de projections qui conjugue le résultat d’une collecte disséminée sur la planète, durant laquelle la plasticienne Maryvonne Arnaud a réalisé un corpus d’attitudes sociales et de postures culturelles contemporaines, corpus assemblé numériquement puis mis en illusion de mouvement par un assemblage de 30 images par seconde, et une polyphonie centrée sur les textures de la voix projetée dans de multiples langues, assemblée aléatoirement par un programme élaboré par le compositeur Bernard Fort.

 

Ce système dynamique fut testé en public, en avril 2011, pour le lancement du festival Les Détours de Babel, avec le soutien du GMVL. Il est désormais proposé en diffusion dans les centres d’art et les scènes contemporaines d’Europe.

Maryvonne Arnaud, Philippe Mouillon, Chimères, studio-Babel

Maryvonne Arnaud, Philippe Mouillon, Chimères, studio-Babel

Maryvonne Arnaud, Philippe Mouillon, Chimères, studio-Babel

Maryvonne Arnaud, Philippe Mouillon, Chimères, studio-Babel

zp8497586rq

Une collection de collections

Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la culture, et la fondation Logirem présentent en avant-première une collection de collections, cabinet de curiosités d’échelle urbaine proposée par Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon, et réalisée avec la participation de nombreux collectionneurs

Cette Collection de collections dessine une sorte de portrait lacunaire des collectionneurs, portraits dissemblables car aucun collectionneur ne ressemble à un autre, tout simplement parce qu’aucun imaginaire ne ressemble à aucun autre.

Cette Collection de collections est donc une invitation à la promenade dans le foisonnement des imaginaires humains, dans l’infinie diversité du vivant. Les objets collectés peuvent être simples ou précieux. Ils étaient tous éparpillés dans le monde et furent assemblés côte à côte, réunis ici, par l’obsession seule du collectionneur.

De nombreux collectionneurs partageront, ici, leur passion avec vous. Vous y verrez peut-être un digitabuphile, collectionneur de dés à coudre, un arctophile, collectionneur d’ours en peluche, un bibliophile, collectionneur de livres, un lépidoptérophile, collectionneur de papillons, un boxoferrophile, collectionneur de boîtes en fer, un canivesttiste, collectionneur d’images pieuses, un tyrosémiophile, collectionneur d’étiquettes de fromages, un conchyophile, collectionneur de coquillages, un glacophile, collectionneur de pots de yaourt, un copocléphile, collectionneur de porte-clefs, un cumixaphiliste, collectionneur d’allumettes, un echéphile, collectionneur de jeux d’échecs, un esiteriophile, collectionneur de titres de transport, un ferrovipathe, collectionneur de trains miniatures ou de patrimoine ferroviaire, un fibulanomiste, collectionneur de boutons, un nicophiliste, collectionneur de paquets de cigarettes, un glacophile, collectionneur de pots de yaourt, un operculophile, collectionneur d’opercules, un stickophile, collectionneur d’auto-collants, un céphaloclastophile, collectionneur de casse-tête, un héraldiste, collectionneur de blasons, un iconomécanophile, collectionneur d’appareils photo, un lithophiliste, collectionneur de pierres, un ludophile, collectionneur de jeux, un malacologiste, collectionneur de mollusques, un vitolphiliste, collectionneur de bagues de cigares, un molafabophile, collectionneurs de moulins à cafés, un glycophile, collectionneur d’emballage de morceaux de sucre, un saccuplastikophile, collectionneur de sacs plastiques, un vexillologiste, collectionneur de drapeaux et étendards, un notaphile, collectionneur de factures, un numismate, collectionneur de pièces de monnaie, un cucurbitaciste, collectionneur d’étiquettes de melon, un oologiste, collectionneur d’œufs d’oiseaux, un phalériste, collectionneur de décorations, un philuméniste, collectionneur de boîtes d’allumettes, un planagologiste, collectionneur de poupées, un pressophile, collectionneur de fers à repasser, un stylobiliaphile, collectionneur de stylographes, … !

Il faut aborder la Collection de collections comme nous abordions enfants ces jeux où, en reliant des points disséminés sur la feuille de papier, surgissait une figure inattendue. Quoi de plus beau qu’une collection d’inattendus ?

 

 

La critique du journal  » le Monde » du 30 juin 2012

 

jeux de paysages

A l’occasion de l’ouverture de l’Hôtel de région Rhône-Alpes construit par Christian de Porzamparc,  l’équipe conduite par Philippe Mouillon a élaboré une exposition à la fois interactive pour les visiteurs et ouverte aux contributeurs disséminés dans le territoire. Chaque visiteur peut cheminer en constituant sa propre exposition puis en l’abandonnant à la disposition des visiteurs suivants. Chaque habitant ou usager de Rhône Alpes peut la compléter en déposant des contributions sur un site dédié.

Le cheminement prend appui sur une grammaire de lieux-dits témoignant d’un réel désormais dispersé, oublié.  Les lieux-dits sont autant de récits fragmentaires, lacunaires, mais tenaces, de connivences intuitives, d’expériences pratiques, de combinaisons sensorielles, d’événements sensuels et érotiques accumulés puis légués par les individus ayant pratiqué ce territoire avant nous. Ils trament le territoire, le traduisent et l’incorporent dans des interprétations du monde.

De ce terreau s’échappent des figures inattendues d’une grande puissance de désorientation. De la Grotte Chauvet au Palais Idéal ou à l’unité d’habitation de Firminy, quelques ouvrages révèlent en effet une profondeur imaginaire nouvelle qui excède tout ancrage dans un lieu et dépasse toute inscription dans un temps.

Ils rompent les contraintes établies. Ils se projettent au-delà. Ils abusent, débordent, déforment, affolent. Ils sont guidés seulement par l’intuition d’un autre possible élargissant les possibilités humaines, augmentant l’espace d’hypothèses et d’interprétations nouvelles. Ces ouvrages font émerger une perception exogène, déterritorialisée, amnésique qui renouvelle et revitalise fortement les représentations spatiales et temporelles en leur associant des textures, des saveurs, des perceptions inédites.

Ces formes déconcertantes, d’une virulente capacité de désorientation, sont en quelque sorte le prétexte à nous interroger sur l’orientation. A l’ancrage identitaire et aux formes héritées, elles répondent trajectoires, logiques floues, turbulences incalculables. Elles déboussolent, mais anticipent pourtant les formes prochaines de territorialisation.

>> Télécharger le livret de l’exposition (pdf)

 

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Une exposition crée par : Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Avec les représentations de :

Maryvonne Arnaud : chronophotographie
Marjolin Beltrol : plan-fixe
Gaëlle Cintré : street-view
Vincent Costarella : photographies des usages Jérôme Duc-Maugé et Sylvie Perrin : court-métrage
Léo Duverger : promenade à vélo
David Mouillon : précipité
Jessie Morfin : lieux-dits
Sylvain Pauchet : panoramique 360°
Fabien Ponçon : cartographie numérique
Zygmunt Z : GPS

Composition générale : Philippe Mouillon
Scénographie : Maryvonne Arnaud et Yann Bianchi – www.superlab.fr
Environnement numérique : Philippe Marin et Sylvain Pauchet – www.astrolab.net
Secrétariat général : Violette Page
Relecture, traduction : Pascale Garnier
Graphisme : Pierre Girardier, Philippe Borsoi
Post-production numérique : Fabien Ponço
Cartographie : Jessie Morfin
Recherche iconographique sur internet : Violette Page
Régie : Emmanuel Davias
Étude mécanique : Michel Arnaud
Médiation de l’exposition : les étudiants de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon
Production : Laboratoire sculpture-urbaine www.www.lelaboratoire.net

les contributions de : Images partagées sur les sites d’échanges Flickr et Facebook : Silvain Ajonc, B.Martine, Guillaume Bacciotti, Emeline Belliard, Adrien Bey, Manuel Bigourdan, Yann Botella, Alain Boué, Alain Cachat, Romain Cassagne, François Cattin, Philippe de Chabot, Guillaume Chagnard, Loïc Chollier, Olivier Clozel, Sheila Cromie, Sailly David, Théophile Demarle, Christophe Durand, Jérémie Duval, Denis F., Helio Garcia, Stéphane Gemmani, Rémi Genoulaz, Pierre Goiffon, Denis Guillaume, Lulu Guiraud, David Huguet, JaHoVil, Frédéric Joly, Schaguy Jung, K r y s, Ludovic Launer, Mathilde Mariette, Pieter Morlion, Oras, Pattoune, Marie-Christine Petitjean, Thomas Pollin, Claude Richard, Richard Reverte, Christophe Ronat, Eric Simon, Stefho74, Jérémy Thille, ToyPinChao, Tom Van Der Sijp, Minke Wagenaar architect NL, Jean-Louis Zimmermann

crédits et remerciements Hôtel de Région : © Adagp Paris 2011, Christian de Portzamparc, Antoine Cardonna, Jean-Paul Bajard, Grotte Chauvet : Jean Clottes / DRAC Rhône-Alpes, David Huguet, Ardèche Images, Syndicat mixte Espace de restitution de la Grotte Chauvet-Pont d’Arc Unité d’Habitation : © FLC Adagp Paris 2011, Jacques Léone / Grand Lyon, Pierrick Arnaud / Région Urbaine de Lyon, Marc Chatelain, le réseau Utopies Réalisées – un autre regard sur l’architecture du XXème siècle  www.utopies-realisees.com, Gare TGV : © Adagp Paris 2011, Jean-Luc Rigaux, Théâtre Antique : Jean-Luc Rigaux Couvent de la Tourette : © FLC Adagp Paris 2011, Jacques Léone / Grand Lyon, le réseau Utopies Réalisées – un autre regard sur l’architecture du XXème siècle  www.utopies-realisees.com Cité du Design : Jean-Luc Rigaux Les Gratte-ciel : Pierrick Arnaud / Région Urbaine de Lyon, le réseau Utopies Réalisées – un autre regard sur l’architecture du XXème siècle  www.utopies-realisees.com Station des Arcs : © Adagp Paris 2011, Eric Dessert, David Magnin Les Etoiles : Jacques Léone / Grand Lyon, Pierrick Arnaud / Région Urbaine de Lyon, le réseau Utopies Réalisées – un autre regard sur l’architecture du XXème siècle  www.utopies-realisees.com Maison Unal : Joël et Claude Unal, Château d’eau : © Adagp Paris 2011, Pont en fil de fer : Jean-Luc Rigaux, Nouvelle buvette, © Adagp Paris 2011.
Nous remercions tout particulièrement l’ensemble des services de la Région Rhône-Alpes pour leurs aides et leurs conseils.

exposure

« exposure » tente d’interroger les représentations symboliques de notre époque, leurs lacunes, les manipulations auxquelles elles sont soumises. L’installation aborde la mutation sociétale actuelle et les discordances symboliques qui l’accompagnent en centrant notre attention sur le risque de précarisation qui hante la vie sociale.

« exposure » interroge le sens de cette peur qui émerge du nouveau siècle, comme si le monde était en désaccord si profond avec nos images mentales qu’il en était devenu impensable. Il s’agit donc d’un travail d’interrogation qui dramatise de grands enjeux de société.

Installée en pleine rue et destinée au grand public, cette dramaturgie se compose de douze roulottes de chantier extraites de la vie ordinaire. Celles-ci décrivent un espace décalé des usages courants qui renouvelle notre regard sur cette vie ordinaire. Les portes de chacune des roulottes s’ouvrent sur une représentation singulière de l’époque. Ce seuil peut se franchir. Le visiteur peut entrer et confronter alors son corps à une multiplicité d’informations complexes : olfactives, sonores, visuelles….

Pour concevoir « exposure » , Maryvonne Arnaud  et Philippe Mouillon ont puisé dans les représentations historiques et dans les approches philosophiques contemporaines en associant Zygmunt Bauman, Stefano Boeri, Daniel Bougnoux, Yves Citton, Laurent Grappe, Bruno Latour, Bernard Mallet, Lionel Manga, Henry Torgue et Janek Sowa.

TEXTES ORIGINAUX DES PHILOSOPHES ASSOCIÉS

Chaque époque possède ses peurs propres qui la différencient des autres époques, ou plus exactement donne à des peurs connues de toutes les autres époques un nom de sa propre création. L’incertitude a toujours constitué la source primordiale de la peur. Mais cette question de l’incertitude est complexe : c’est une des principales conséquences du processus de mondialisation. La manipulation de l’incertitude est à toute époque l’essence même du pouvoir et de l’influence. Les ensembles qui détiennent le plus de pouvoir sont ceux qui parviennent à rester une source d’incertitude pour les autres.

Zygmunt Bauman

————————

Nos sociétés de la flexibilité sont des sociétés qui exigent une réadaptation permanente. En ce sens la précarité est la forme nécessaire au développement actuel du capitalisme. Le monde change depuis toujours, mais ce qui est nouveau c’est que la chaîne de changement change. C’est un méta-changement, ça change d’une façon qui change, exponentielle et imprévisible.

Cette mutation accélérée tranche en diagonale dans la société, fragilisant les repères de la majorité des citoyens et déliant les différentes formes de sécurité sociale. Le précaire est disqualifié, en faillite. Il n’habite plus le monde. Car habiter le monde veut dire vivre dans un espace lentement apprivoisé depuis l’enfance afin d’être vécu comme l’extension de nous-mêmes, c’est aussi comprendre le monde, comprendre ce qui se passe, comprendre où est notre place dans le monde. Habiter le monde, c’est encore prendre soin de soi et être l’objet du soin des autres. Habiter le monde, c’est avoir le contrôle du monde, de son environnement, de son espace politique, c’est être citoyen.

Ainsi sont emblématiques du précariat tous les migrants jetés sur les routes du monde par des événements qu’ils ne pouvaient pas contrôler.

Janek Sowa

————————

La précarité n’est que la moitié du dispositif. L’autre face est l’inintérêt ou la violence, la virulence des réactions suscitées par la précarité chez les gens qui sont à la fois indifférents, vaguement coupables, furieux, ce mélange assez bizarre d’impatience, de gêne, de trouble. Notre attention doit se porter sur l’invisible, la façon dont ces gens en situation précaire deviennent invisibles, car ça aussi c’est un mécanisme. Les mécanismes par lesquels on rend invisible sont à rendre visibles. Si on parle de précarité, il faut parler aussi de ce qui rend précaire. C’est vraiment la symétrie d’analyse entre les deux positions : ceux qui sont précaires, ceux qui précarisent, ainsi qu’un changement régulier d’échelle qui permet de dessiner une nouvelle objectivité.

Bruno Latour

————————

Le défaut de l’image narcissique est au cœur de la précarité. Le miroir renvoie une si mauvaise image qu’on ne veut pas coller à cette image, on la refuse. Or il importe beaucoup de recevoir cette stabilisation narcissique de notre identité : nos actualités nous renvoient l’image que chaque jour nous produisons de nous-mêmes, comme nation ou comme groupe social…. Quand cette image fait défaut, et elle fait défaut dans quantités de situations – pour les immigrés, par exemple, et pour tant de pays qui n’ont pas l’équipement médiatique leur renvoyant cette image, mais seulement l’image que les autres filment d’eux – il y a risque d’effondrement.

La lutte pour l’identité narcissique semble un facteur très important des luttes symboliques actuelles. Il revient à l’artiste de faire glisser le terrain, de montrer qu’on n’est pas seul à habiter son territoire mais qu’il y a des glissements entre les territoires, des invasions, des ré-appropriations, des luttes pour l’identité et la coexistence…. Car chaque terrain n’a que trop tendance à se constituer comme homogène, comme chauvin, comme phobique de l’autre… La question narcissique est vitale : nous avons besoin de nous voir dans un miroir, mais pas de nous voir tout seuls, pas d’envahir tout le champ visuel, mais de nous y voir liés à d’autres qui font que nous sommes là et partageons avec eux un espace négociable.

Daniel Bougnoux

————————

La personne en situation de précarité ne parvient généralement pas à contrôler l’image qu’elle projette d’elle-même. Le sans-abri qui plante son campement sur le trottoir de mon pâté de maisons est exposé à la pluie, à la froidure, aux gaz d’échappement, mais il est aussi exposé à mon regard inquisiteur qui lui demande silencieusement à chaque fois : n’es-tu pas un imposteur, as-tu fait tout ce qui était en ton pouvoir pour t’en sortir ? C’est à ce « droit de regard » qu’est d’abord exposé le sans-abri : ce dont il ne peut pas s’abriter, c’est de cette inquisition qui paraît toujours disposée à l’accuser d’imposture, d’incohérence, d’irrationalité, d’insuffisance. En même temps que son corps souffre de la morsure des intempéries, son image souffre de l’exposition qui soumet à notre regard demandeur de comptes toutes les petites impostures que notre sécurisation nous permet de dissimuler.

Mais la précarité est en même temps le lieu d’une projection d’image qui précarise dramatiquement notre regard de spectateur. Toutes nos stratégies d’évitement visent à éviter de rencontrer ce regard dont il nous serait difficile d’ignorer la demande. Au cœur de nos stratégies d’évitement, qui cachent et révèlent notre désarroi, il y a ce regard qui nous regarde, très intimement. Qu’est-ce qui nous regarde en lui ?

Yves Citton

————————

L’habitude est un vêtement qui nous convient. Plus elle tourne mécanique, plus elle rassure. Le chaotique déconcerte. L’incertitude, c’est le grain de sable dans les engrenages qui détraque la routine et son manège tranquillisant. L’extrême sensibilité aux conditions initiales des systèmes dynamiques a plusieurs degrés de liberté. Les marins à voile du monde entier savent bien à quel point une infime dérive dans les paramètres de navigation mène en définitive loin du cap visé, parfois même aux antipodes. Garder le cap n’est pas une vaine métaphore, surtout quand ça tangue fort. S’il est dans l’expérience humaine ordinaire un système dynamique régi par l’extrême sensibilité aux conditions initiales, c’est celui formé par le skipper à la barre et son intention, le bateau et les voiles, la mer et le vent. Les stabilités qui ont jusqu’ici plus ou moins heureusement porté le monde trouvent leur fondement dans la vision agraire de l’inscription humaine au sein de la biosphère. L’invention de l’agriculture a inséré en nous et renforcé au long des générations, le principe de fixation et d’accumulation. Fixation à des territoires réels et imaginaires, fixation à une famille, à une nation… Et voilà que les fixations sautent, que les stabilités s’effritent et que la permanence prend l’eau. Il y a dans l’air comme une débâcle de printemps. Aller d’un emploi à un autre, d’un logement à un autre, d’un amour à un autre… parce que l’aléa mène le jeu, se tenant en embuscade dans les replis du réel pour bifurquer dans n’importe quelle direction. Cependant, sous l’incertitude se dessinent les lignes de force d’une pratique inédite de l’autonomie.

Lionel Manga

————————

 

 

 

 

 

 

 

Pour approfondir : Ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables – à propos de l’exposition précaire(s) à COLOGNE. Précarités contemporaines. Formes sociales, formes spatiales, formes représentées. Approches européennes croisées