Atelier-monde

Atelier-Monde tente d’initier un processus d’interrogation en interface avec le public, comme une boucle qui interroge, comme un dispositif d’incubation destiné à refonder la vie de la cité. Ce va et vient entre l’expérience quotidienne et concrète de tout à chacun – ici localisé, et les expériences d’une multitude d’auteurs – disséminés dans le monde, renouvellent l’espace public en l’arrachant aux pesanteurs héritées de l’habitude pour déplier d’autres cohérences.

Le cercle des auteurs associés dès l’origine à l’initiative atelier-monde : les artistes Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon, les sociologues Yves Chalas et Henry Torgue, les philosophes Daniel Bougnoux et Yves Citton, ont affirmé clairement ce postulat en invitant des auteurs vivants en Rhône-Alpes comme Jean-Pierre Chambon, Olivier Frérot, Luc Gwiazdzinski, Bernard Fort, Xavier Garcia, et en les confrontant à d’autres, disséminés dans le monde, comme Bruno Latour, Stefano Boeri, Janek Sowa, François Ascher, Abdelwahab Meddeb, Osamu Nishitani, Patrick Chamoiseau, Bernard Stiegler, Augustin Berque, Thanh Nghiem, Alaa El Aswany, Shumona Sinha

Atelier-Monde place les représentations esthétiques au cœur du dispositif d’échange. Chaque atelier s’ouvre et s’appuie sur des images, des films, des fragments sonores, autant d’indices du monde qui provoquent et stimulent la réflexion, mais qui permettent aussi et surtout de préserver un échange intellectuel accessible au citoyen ordinaire, car plus intuitif et ouvert sur l’expérience intime.

Cette collecte mondiale de doutes est une tentative de rendre visibles les impensés de l’époque, les fragilités des représentations et des interprétations dominantes d’un réel qui s’échappe, qui n’est jamais là où on le cherche, ou sous la forme attendue.

  Maryvonne Arnaud

 

jeux de paysages

A l’occasion de l’ouverture de l’Hôtel de région Rhône-Alpes construit par Christian de Porzamparc,  l’équipe conduite par Philippe Mouillon a élaboré une exposition à la fois interactive pour les visiteurs et ouverte aux contributeurs disséminés dans le territoire. Chaque visiteur peut cheminer en constituant sa propre exposition puis en l’abandonnant à la disposition des visiteurs suivants. Chaque habitant ou usager de Rhône Alpes peut la compléter en déposant des contributions sur un site dédié.

Le cheminement prend appui sur une grammaire de lieux-dits témoignant d’un réel désormais dispersé, oublié.  Les lieux-dits sont autant de récits fragmentaires, lacunaires, mais tenaces, de connivences intuitives, d’expériences pratiques, de combinaisons sensorielles, d’événements sensuels et érotiques accumulés puis légués par les individus ayant pratiqué ce territoire avant nous. Ils trament le territoire, le traduisent et l’incorporent dans des interprétations du monde.

De ce terreau s’échappent des figures inattendues d’une grande puissance de désorientation. De la Grotte Chauvet au Palais Idéal ou à l’unité d’habitation de Firminy, quelques ouvrages révèlent en effet une profondeur imaginaire nouvelle qui excède tout ancrage dans un lieu et dépasse toute inscription dans un temps.

Ils rompent les contraintes établies. Ils se projettent au-delà. Ils abusent, débordent, déforment, affolent. Ils sont guidés seulement par l’intuition d’un autre possible élargissant les possibilités humaines, augmentant l’espace d’hypothèses et d’interprétations nouvelles. Ces ouvrages font émerger une perception exogène, déterritorialisée, amnésique qui renouvelle et revitalise fortement les représentations spatiales et temporelles en leur associant des textures, des saveurs, des perceptions inédites.

Ces formes déconcertantes, d’une virulente capacité de désorientation, sont en quelque sorte le prétexte à nous interroger sur l’orientation. A l’ancrage identitaire et aux formes héritées, elles répondent trajectoires, logiques floues, turbulences incalculables. Elles déboussolent, mais anticipent pourtant les formes prochaines de territorialisation.

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Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Une exposition crée par : Maryvonne Arnaud, Yann Blanchi, Philippe Marin, Philippe Mouillon

Avec les représentations de :

Maryvonne Arnaud : chronophotographie
Marjolin Beltrol : plan-fixe
Gaëlle Cintré : street-view
Vincent Costarella : photographies des usages Jérôme Duc-Maugé et Sylvie Perrin : court-métrage
Léo Duverger : promenade à vélo
David Mouillon : précipité
Jessie Morfin : lieux-dits
Sylvain Pauchet : panoramique 360°
Fabien Ponçon : cartographie numérique
Zygmunt Z : GPS

Composition générale : Philippe Mouillon
Scénographie : Maryvonne Arnaud et Yann Bianchi – www.superlab.fr
Environnement numérique : Philippe Marin et Sylvain Pauchet – www.astrolab.net
Secrétariat général : Violette Page
Relecture, traduction : Pascale Garnier
Graphisme : Pierre Girardier, Philippe Borsoi
Post-production numérique : Fabien Ponço
Cartographie : Jessie Morfin
Recherche iconographique sur internet : Violette Page
Régie : Emmanuel Davias
Étude mécanique : Michel Arnaud
Médiation de l’exposition : les étudiants de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon
Production : Laboratoire sculpture-urbaine www.www.lelaboratoire.net

les contributions de : Images partagées sur les sites d’échanges Flickr et Facebook : Silvain Ajonc, B.Martine, Guillaume Bacciotti, Emeline Belliard, Adrien Bey, Manuel Bigourdan, Yann Botella, Alain Boué, Alain Cachat, Romain Cassagne, François Cattin, Philippe de Chabot, Guillaume Chagnard, Loïc Chollier, Olivier Clozel, Sheila Cromie, Sailly David, Théophile Demarle, Christophe Durand, Jérémie Duval, Denis F., Helio Garcia, Stéphane Gemmani, Rémi Genoulaz, Pierre Goiffon, Denis Guillaume, Lulu Guiraud, David Huguet, JaHoVil, Frédéric Joly, Schaguy Jung, K r y s, Ludovic Launer, Mathilde Mariette, Pieter Morlion, Oras, Pattoune, Marie-Christine Petitjean, Thomas Pollin, Claude Richard, Richard Reverte, Christophe Ronat, Eric Simon, Stefho74, Jérémy Thille, ToyPinChao, Tom Van Der Sijp, Minke Wagenaar architect NL, Jean-Louis Zimmermann

crédits et remerciements Hôtel de Région : © Adagp Paris 2011, Christian de Portzamparc, Antoine Cardonna, Jean-Paul Bajard, Grotte Chauvet : Jean Clottes / DRAC Rhône-Alpes, David Huguet, Ardèche Images, Syndicat mixte Espace de restitution de la Grotte Chauvet-Pont d’Arc Unité d’Habitation : © FLC Adagp Paris 2011, Jacques Léone / Grand Lyon, Pierrick Arnaud / Région Urbaine de Lyon, Marc Chatelain, le réseau Utopies Réalisées – un autre regard sur l’architecture du XXème siècle  www.utopies-realisees.com, Gare TGV : © Adagp Paris 2011, Jean-Luc Rigaux, Théâtre Antique : Jean-Luc Rigaux Couvent de la Tourette : © FLC Adagp Paris 2011, Jacques Léone / Grand Lyon, le réseau Utopies Réalisées – un autre regard sur l’architecture du XXème siècle  www.utopies-realisees.com Cité du Design : Jean-Luc Rigaux Les Gratte-ciel : Pierrick Arnaud / Région Urbaine de Lyon, le réseau Utopies Réalisées – un autre regard sur l’architecture du XXème siècle  www.utopies-realisees.com Station des Arcs : © Adagp Paris 2011, Eric Dessert, David Magnin Les Etoiles : Jacques Léone / Grand Lyon, Pierrick Arnaud / Région Urbaine de Lyon, le réseau Utopies Réalisées – un autre regard sur l’architecture du XXème siècle  www.utopies-realisees.com Maison Unal : Joël et Claude Unal, Château d’eau : © Adagp Paris 2011, Pont en fil de fer : Jean-Luc Rigaux, Nouvelle buvette, © Adagp Paris 2011.
Nous remercions tout particulièrement l’ensemble des services de la Région Rhône-Alpes pour leurs aides et leurs conseils.

points de repère

local.contemporain 06 / 80 pages / éditions le bec en l’air

Textes de Patrick Chamoiseau, Bernard Stiegler, Daniel Bougnoux, Yves Citton, Thanh Nghiem, Chris Younes, Jean Guibal, Olivier Frerot, André Micoud, Janek Sowa, Luc Gwiazdzinski, Henry Torgue.

Images de Maryvonne Arnaud, Sylvain Pauchet.

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Déboussolés !

C’est le terme qui s’impose fréquemment pour témoigner de l’incompréhension dans laquelle nous plongent les situations déconcertantes à l’échelle personnelle comme à celle de l’évolution du monde.

L’impression domine que les coordonnées stables qui assuraient un repérage correct et quasi permanent au fil de la vie d’une personne, vacillent et sont mises en doute. Fait nouveau, le monde change plus vite que la conscience individuelle. Les grands systèmes, la famille, le travail, la religion, la politique, l’économie, et même l’argent… s’avèrent des colosses aux pieds d’argile. Que devient-on lorsque les points de repère qui permettent à chacun de s’identifier et de se situer deviennent flottants ? Une époque sans points de repère partagés est-elle viable ?

Un double mouvement s’observe : d’une part, une quête éperdue de balises et d’amarres pour cadrer et référencer une vie symbolique rapiécée, où la consumation des valeurs fait écho à la consommation frénétique des objets ; d’autre part, un flicage effréné de la localisation et de la chronologie de chaque individu, piégé dans le labyrinthe de ses mots de passe, et dont chaque action banale en réseau génère des coordonnées l’épinglant sur la carte inquiétante d’une énigmatique surveillance mondialisée.

Pour comprendre quels sont les repères d’aujourd’hui et quels pôles attirent nos boussoles, ce numéro met en résonance trois ensembles : les lieux-dits d’une région, qui la parlent à leur manière et témoignent de la sédimentation de l’histoire ; les photographies de Maryvonne Arnaud, véritables commentaires visuels, qui expriment sans mots l’appel sensible aux repères ; et une suite de réflexions ouvertes, abordant plus particulièrement trois domaines fondamentaux : le lieu et ses racines ; les objets, la technique et le savoir ; la langue, tradition et traduction.

Toutes ces citations proviennent des débats de l’Atelier-monde, un cycle de rencontres initié par Philippe Mouillon et soutenu par La Criée, centre d’art contemporain de Rennes. Des philosophes, chercheurs, artistes et poètes y débattent librement de ces questions, constituant une « collecte mondiale des doutes », pistes de réflexion éloignées de toute doctrine et fonctionnant plutôt à la manière d’un jeu – dans les deux sens de ce mot : comme exercice ludique et aussi comme la légère mobilité qui permet l’aisance, évitant immobilisme et rigidité.

« Il n’y a pas de vérité première, il n’y a que des erreurs premières, la vérité est une erreur rectifiée » écrit Gaston Bachelard. C’est à l’adoption d’un regard « rectificateur » que voudrait contribuer ce numéro : faire émerger une pensée de la nuance, ne refuser aucun savoir, archaïque ou étranger, intégrer à l’analyse les visions de l’art et les intuitions de la poésie, jusqu’à faire du doute un repère.

Henry Torgue

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Le précaire, questions contemporaines

local.contemporain 04 / 80 pages / éditions le bec en l’air

Textes de Bruno Latour, Yves Citton, Janek Sowa, Stefano Boeri, Lionel Manga, Henry Torgue, Daniel Bougnoux, Philippe Mouillon

Images de Maryvonne Arnaud.

Chroniques sonores de Laurent Grappe

 

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Nous n’avons pas réellement la géographie mentale qui correspond au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui… C’est de ce constat du philosophe Bruno Latour échangé lors de notre première rencontre qu’est né le désir de rendre visibles les mécanismes d’interprétations et de représentations d’un réel qui s’échappe. Cette fragilité des mécanismes de représentation du monde, paradoxe d’une société si gourmande d’images et d’informations, nous avons choisi de l’éprouver en abordant les précarités contemporaines.

Au-delà de l’évidente et douloureuse fragilité sociale, le précaire s’impose en effet aujourd’hui comme l’une des grandes polarités de l’imaginaire social européen en reformulation. Lorsque dans un sondage effectué en France en décembre 2007 plus de 50 % des habitants citent la précarité comme une de leurs angoisses principales, il nous semble en effet que ce qui est craint excède la seule paupérisation.

Pour être en mesure d’habiter le monde, d’agir sur le monde, il est nécessaire de comprendre les mécanismes de production de cette peur contemporaine. C’est à ce travail de (re)composition esthétique du social que sont invités ici artistes et philosophes disséminés en Europe.

Gdansk, Varsovie, Cologne, Milan, Palerme, Paris, Lyon et Grenoble sont les ancrages territoriaux de cette première étape.

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exposure

« exposure » tente d’interroger les représentations symboliques de notre époque, leurs lacunes, les manipulations auxquelles elles sont soumises. L’installation aborde la mutation sociétale actuelle et les discordances symboliques qui l’accompagnent en centrant notre attention sur le risque de précarisation qui hante la vie sociale.

« exposure » interroge le sens de cette peur qui émerge du nouveau siècle, comme si le monde était en désaccord si profond avec nos images mentales qu’il en était devenu impensable. Il s’agit donc d’un travail d’interrogation qui dramatise de grands enjeux de société.

Installée en pleine rue et destinée au grand public, cette dramaturgie se compose de douze roulottes de chantier extraites de la vie ordinaire. Celles-ci décrivent un espace décalé des usages courants qui renouvelle notre regard sur cette vie ordinaire. Les portes de chacune des roulottes s’ouvrent sur une représentation singulière de l’époque. Ce seuil peut se franchir. Le visiteur peut entrer et confronter alors son corps à une multiplicité d’informations complexes : olfactives, sonores, visuelles….

Pour concevoir « exposure » , Maryvonne Arnaud  et Philippe Mouillon ont puisé dans les représentations historiques et dans les approches philosophiques contemporaines en associant Zygmunt Bauman, Stefano Boeri, Daniel Bougnoux, Yves Citton, Laurent Grappe, Bruno Latour, Bernard Mallet, Lionel Manga, Henry Torgue et Janek Sowa.

TEXTES ORIGINAUX DES PHILOSOPHES ASSOCIÉS

Chaque époque possède ses peurs propres qui la différencient des autres époques, ou plus exactement donne à des peurs connues de toutes les autres époques un nom de sa propre création. L’incertitude a toujours constitué la source primordiale de la peur. Mais cette question de l’incertitude est complexe : c’est une des principales conséquences du processus de mondialisation. La manipulation de l’incertitude est à toute époque l’essence même du pouvoir et de l’influence. Les ensembles qui détiennent le plus de pouvoir sont ceux qui parviennent à rester une source d’incertitude pour les autres.

Zygmunt Bauman

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Nos sociétés de la flexibilité sont des sociétés qui exigent une réadaptation permanente. En ce sens la précarité est la forme nécessaire au développement actuel du capitalisme. Le monde change depuis toujours, mais ce qui est nouveau c’est que la chaîne de changement change. C’est un méta-changement, ça change d’une façon qui change, exponentielle et imprévisible.

Cette mutation accélérée tranche en diagonale dans la société, fragilisant les repères de la majorité des citoyens et déliant les différentes formes de sécurité sociale. Le précaire est disqualifié, en faillite. Il n’habite plus le monde. Car habiter le monde veut dire vivre dans un espace lentement apprivoisé depuis l’enfance afin d’être vécu comme l’extension de nous-mêmes, c’est aussi comprendre le monde, comprendre ce qui se passe, comprendre où est notre place dans le monde. Habiter le monde, c’est encore prendre soin de soi et être l’objet du soin des autres. Habiter le monde, c’est avoir le contrôle du monde, de son environnement, de son espace politique, c’est être citoyen.

Ainsi sont emblématiques du précariat tous les migrants jetés sur les routes du monde par des événements qu’ils ne pouvaient pas contrôler.

Janek Sowa

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La précarité n’est que la moitié du dispositif. L’autre face est l’inintérêt ou la violence, la virulence des réactions suscitées par la précarité chez les gens qui sont à la fois indifférents, vaguement coupables, furieux, ce mélange assez bizarre d’impatience, de gêne, de trouble. Notre attention doit se porter sur l’invisible, la façon dont ces gens en situation précaire deviennent invisibles, car ça aussi c’est un mécanisme. Les mécanismes par lesquels on rend invisible sont à rendre visibles. Si on parle de précarité, il faut parler aussi de ce qui rend précaire. C’est vraiment la symétrie d’analyse entre les deux positions : ceux qui sont précaires, ceux qui précarisent, ainsi qu’un changement régulier d’échelle qui permet de dessiner une nouvelle objectivité.

Bruno Latour

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Le défaut de l’image narcissique est au cœur de la précarité. Le miroir renvoie une si mauvaise image qu’on ne veut pas coller à cette image, on la refuse. Or il importe beaucoup de recevoir cette stabilisation narcissique de notre identité : nos actualités nous renvoient l’image que chaque jour nous produisons de nous-mêmes, comme nation ou comme groupe social…. Quand cette image fait défaut, et elle fait défaut dans quantités de situations – pour les immigrés, par exemple, et pour tant de pays qui n’ont pas l’équipement médiatique leur renvoyant cette image, mais seulement l’image que les autres filment d’eux – il y a risque d’effondrement.

La lutte pour l’identité narcissique semble un facteur très important des luttes symboliques actuelles. Il revient à l’artiste de faire glisser le terrain, de montrer qu’on n’est pas seul à habiter son territoire mais qu’il y a des glissements entre les territoires, des invasions, des ré-appropriations, des luttes pour l’identité et la coexistence…. Car chaque terrain n’a que trop tendance à se constituer comme homogène, comme chauvin, comme phobique de l’autre… La question narcissique est vitale : nous avons besoin de nous voir dans un miroir, mais pas de nous voir tout seuls, pas d’envahir tout le champ visuel, mais de nous y voir liés à d’autres qui font que nous sommes là et partageons avec eux un espace négociable.

Daniel Bougnoux

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La personne en situation de précarité ne parvient généralement pas à contrôler l’image qu’elle projette d’elle-même. Le sans-abri qui plante son campement sur le trottoir de mon pâté de maisons est exposé à la pluie, à la froidure, aux gaz d’échappement, mais il est aussi exposé à mon regard inquisiteur qui lui demande silencieusement à chaque fois : n’es-tu pas un imposteur, as-tu fait tout ce qui était en ton pouvoir pour t’en sortir ? C’est à ce « droit de regard » qu’est d’abord exposé le sans-abri : ce dont il ne peut pas s’abriter, c’est de cette inquisition qui paraît toujours disposée à l’accuser d’imposture, d’incohérence, d’irrationalité, d’insuffisance. En même temps que son corps souffre de la morsure des intempéries, son image souffre de l’exposition qui soumet à notre regard demandeur de comptes toutes les petites impostures que notre sécurisation nous permet de dissimuler.

Mais la précarité est en même temps le lieu d’une projection d’image qui précarise dramatiquement notre regard de spectateur. Toutes nos stratégies d’évitement visent à éviter de rencontrer ce regard dont il nous serait difficile d’ignorer la demande. Au cœur de nos stratégies d’évitement, qui cachent et révèlent notre désarroi, il y a ce regard qui nous regarde, très intimement. Qu’est-ce qui nous regarde en lui ?

Yves Citton

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L’habitude est un vêtement qui nous convient. Plus elle tourne mécanique, plus elle rassure. Le chaotique déconcerte. L’incertitude, c’est le grain de sable dans les engrenages qui détraque la routine et son manège tranquillisant. L’extrême sensibilité aux conditions initiales des systèmes dynamiques a plusieurs degrés de liberté. Les marins à voile du monde entier savent bien à quel point une infime dérive dans les paramètres de navigation mène en définitive loin du cap visé, parfois même aux antipodes. Garder le cap n’est pas une vaine métaphore, surtout quand ça tangue fort. S’il est dans l’expérience humaine ordinaire un système dynamique régi par l’extrême sensibilité aux conditions initiales, c’est celui formé par le skipper à la barre et son intention, le bateau et les voiles, la mer et le vent. Les stabilités qui ont jusqu’ici plus ou moins heureusement porté le monde trouvent leur fondement dans la vision agraire de l’inscription humaine au sein de la biosphère. L’invention de l’agriculture a inséré en nous et renforcé au long des générations, le principe de fixation et d’accumulation. Fixation à des territoires réels et imaginaires, fixation à une famille, à une nation… Et voilà que les fixations sautent, que les stabilités s’effritent et que la permanence prend l’eau. Il y a dans l’air comme une débâcle de printemps. Aller d’un emploi à un autre, d’un logement à un autre, d’un amour à un autre… parce que l’aléa mène le jeu, se tenant en embuscade dans les replis du réel pour bifurquer dans n’importe quelle direction. Cependant, sous l’incertitude se dessinent les lignes de force d’une pratique inédite de l’autonomie.

Lionel Manga

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Pour approfondir : Ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables – à propos de l’exposition précaire(s) à COLOGNE. Précarités contemporaines. Formes sociales, formes spatiales, formes représentées. Approches européennes croisées